Alors ça, qui l'aurait vu venir ?! (Jake, Daphné & Rick)

Bobbi reposa son mascara sur le rebord de son lavabo, les mains légèrement tremblantes. Elle stressait terriblement, elle se sentait comme une étudiante se préparant à passer un examen. Depuis quelques temps, la jolie brune fréquentait un homme, Rick. Bobbi y était très attachée. Depuis des années, c’était le premier homme qu’elle laissait entrer réellement dans sa vie. Il prenait tant de place dans sa vie et son coeur qu’elle avait pris une grande décision : elle voulait que les deux hommes de sa vie se rencontrent enfin. Bobbi avait un fils, Jackson, qu'elle appelait souvent Jake. Son fils était toute sa vie, elle ne pouvait pas vivre sans lui. Jake la taquinait souvent sur son couple avec Rick. N’ayant jamais rencontré Rick, il demandait souvent à le voir. Bobbi savait qu’il voulait questionner et montrer à son petit ami qu’elle n’était pas seule, que si jamais il osait lui faire du mal, Jake serait là pour prendre sa défense.
Bobbi souffla profondément. Il ne fallait pas qu’elle s’inquiète, après tout, son fils n’était pas un monstre. Il n’allait pas jouer la carte du fils refusant que sa mère refasse sa vie. Son célibat durait depuis si longtemps et, plusieurs fois, il lui avait dit qu’elle ne devait pas rester seule. Il était d’accord pour qu’elle fréquente un homme, tant qu’il l’aimait et la respectait. Et c’était le cas avec Rick. Mais ce n’était pas la seule chose qui la stressait. Rick ne venait pas seul, il serait accompagné de sa fille, Daphné. Ce qui avait plût à Bobbi, c’était le fait qu’il soit père, il comprenait qu’elle se dédie autant à son éducation.
Devant son miroir, scrutant son reflet, elle sentait que sa nervosité ne la quittait pas. Ses yeux trahissait un stress qu’elle n’avait pas ressentie depuis des années. Des papillons voltigeaient dans son estomac, lui rappelant le stress des premiers rendez-vous amoureux qu’elle avait eu avec Rick. Sauf que cette fois-ci, c’était différent. C’était plus important, c’était l’introduction de deux mondes qui allaient, elle l’espérait, s’harmoniser en un.

A nouveau, ses pensées allèrent vers le jeune homme se préparant dans sa chambre. Son fils, sa boussole dans sa vie souvent tumultueuse. Elle se rappela toutes les nuits où elle s’était assise à côté de son lit, à le regarder dormir, se demandant si elle faisait tout bien. Elle avait beau vivre sur les routes pour fuir son ex petit ami, Bobbi avait toujours tout fait pour que son fils ne manque de rien. Il était à présent un jeune homme dont elle était si fière… La simple idée qu’il puisse ne pas accepter l’homme qui lui apportait désormais du bonheur la terrifiait.
Elle pensa ensuite à Rick. Doux, compréhensif. Il avait été une lumière inattendue dans sa vie. L’homme qui l’avait fait rire, l’avait fait sentir aimée et protégée après tant d’année de solitude. Son rôle de père était pour elle la preuve qu’il était quelqu’un de bien. Quand elle l’écoutait parler de sa fille, Bobbi sentait toute sa fierté, tout son amour. C’était si beau… Il ne pouvait pas être quelqu’un de mauvais.
Mais que se passerait-il si ces deux univers ne s’entendaient pas ? Si Jake ne voyait pas en Rick l’homme extraordinaire qu’elle ne voyait ?

Un frisson d’inquiétude la parcourut. Et si Rick et Jackson ne s’entendaient pas ? Et si cette rencontre gâchait tout ? Elle voulait tellement que cela fonctionne, pas seulement pour elle, mais pour les deux hommes qu’elle aimait tant… Elle reprit une profonde inspiration, chassant les nuages de doute. “Ça va aller”, murmura-t-elle pour se rassurer. Elle prit son tube de rouge à lèvres et l’appliqua sur sa bouche. Puis, elle retourna dans sa chambre pour y mettre ses escarpins. Pour l’occasion, Bobbi portait une élégante robe noire et avait attaché ses cheveux dans un joli chignon au-dessus de sa tête. Elle se parfuma et fut prête à sortir lorsqu’elle se rappela qu’elle n’avait pas mit ses boucles d’oreilles. Elle fit demi-tour, attrapa ses boucles d’oreilles sur sa commode et sortit un peu en trombe. Elle se dirigea vers la porte de la chambre de son fils et tapa à la porte avant de dire :

“Jaaaake ! Tu es prêt ? Rick et sa fille ne vont pas tarder !

- Oui, m’man, j’arrive !”

Jake sortit de sa chambre, tout beau. Bobbi sourit d’un air tendre. Mais la maman poule prit le dessus. Elle tenta de le recoiffer, de rentrer son t-shirt dans son jean. Son fils, excédé lui attrapa les mains.

“Mais arrête ! Je suis déjà super beau ! Et puis, arrête de stresser. Tout va bien se passer, d’accord ?”

Jake lui lança un regard rassurant avant de la serrer contre lui. Bobbi se sentit minuscule contre son fils, lui qui était si petit… Elle se rappela comment, il fut un temps, elle le portait dans ses bras. Il déposa un baiser sur son front. Il lui murmura qu’il l’aimait. Elle lui répondit qu’elle aussi avant qu’ils ne s’écartent.

“N’oublie pas d’être sympa avec sa fille. Je crois qu’elle a ton âge, je sais que tu as ta copine mais tu peux être poli, hein ?

- Oui, madame, je serais un gentil garçon… Après l’interrogatoire que je ferais passer à son père. Et s’il le réussit, je serais sympa sinon…”

Il se frotta les mains d’un air démoniaque. Bobbi leva les yeux au ciel quand la sonnette de la porte d’entrée résonna. Son coeur se mit à battre plus fort. Laissant Jake à ses machinations diaboliques, elle alla ouvrir.

“Bonsoir Rick et tu dois être Daphné ? Entrez ! Jackson, tu viens dire bonjour !”

Bobbi voulait que les présentations soient rapides, elle voulait arracher le pansement rapidement !

Rick est nerveux. Et sa nervosité le fait arpenter l’appartement dans lequel il vit avec Daphné depuis qu’ils ont emménagé à New York. Il le parcourt en long, en large et en travers, en attendant que sa fille soit enfin prête pour partir. Elle n’est pas en retard. C’est lui qui est tellement nerveux qu’il est en avance. Il passe une énième fois sa main dans ses cheveux. Autrefois d’un brun corbeau, au fil des années qui passent, ils éclaircissent. Quelques mèches grises les parsèment déjà. Le temps passe si vite, et si lentement à la fois. Il essaie de faire le vide, de se convaincre que tout va bien se passer, mais il ne peut pas s’empêcher d’avoir une certaine appréhension. Depuis la mort de Marion, Rick n’a jamais réellement rencontré quelqu’un d’autre. Bobbi est la première femme avec laquelle il envisage de refaire sa vie, et surtout, c’est la première à qui il va présenter Daphné. Et si elles ne s’apprécient pas ? Du plomb tombe dans son estomac à cette pensée. Et il se force à chasser ces ondes négatives parce que c’est impossible que Daphné et Bobbi se détestent. Daphné est la première heureuse pour lui qu’il ait rencontré quelqu’un d’autre. Il se remémore cette très longue conversation qu’il a eu avec elle lorsqu’avec Bobbi, ça a commencé à devenir sérieux. Sa fille unique sait très bien qu’elle ne remplacera jamais sa mère, ni qu’il l’oubliera. Si la vie avait été un peu plus clémente avec les Gracey, ils auraient continué de filer le parfait amour… Mais la vie est aussi cruelle que bonne. Alors après lui avoir arraché Marion, il lui a présenté Bobbi.

— A force de marcher sur le tapis, tu vas finir par l’user.

Daphné a comme surgi de nulle part. Rick était bien trop absorbé par ses pensées qu’il ne l’a pas entendu arriver dans le séjour. Il constate qu’elle a fait un effort vestimentaire. Non pas qu’elle soit négligée en temps normal, loin de là, mais il sait qu’elle s’est habillée pour correspondre à l’événement. Elle prend au sérieux cette rencontre,et cela lui va droit au cœur. Rick ne pouvait pas rêver mieux comme enfant. Elle est parfaite en tout point, et ce, depuis toujours. Il souhaite à tout parent d’avoir un jour un enfant comme Daphné - même si c’est impossible, parce que sa Daphné est unique. Et elle est à lui.

— Je suis nerveux, avoue-t-il avec une pointe de gêne.

Daphné rit légèrement de lui.

— Ça ne se voit pas du tout, lance-t-elle avec une pointe d’ironie.

Puis elle s’approche et l’entoure de ses bras pour se serrer contre lui. Peu importe l’âge qu’elle a, Daphné reste à ses yeux une petite fille et sans la moindre pudeur, Rick lui rend son étreinte. Il ne comprend pas ces pères qui n’offrent plus d’affection à leurs enfants une fois passé un certain âge. Ou peut-être que c’est normal ? Mais n’ayant plus de mère vers qui se tourner, il se doit de lui offrir ces instants affectifs. Et puis, ce câlin lui fait du bien et lui permet de se rassurer au moins un peu.

Dans la voiture, Daphné tente tant bien que mal de faire la conversation à son père qui fixe la route comme si une biche allait surgir d’un coup de l’ombre. Finalement, plus il se rapproche de la maison de Bobbi, plus il stresse. Ce qu’il ressentait chez lui n’est absolument rien à côté de ce qui se profile. Force de paroles rassurantes, Daphné lui assure que tout va bien se passer. Sa positivité lui fait un peu de bien, et il tente de s’en convaincre. Surtout que la maison des DeLaurence se dessine de plus en plus. Il gare la voiture le long du trottoir et pris d’une crise de courage, il sort à l’extérieur. Daphné ne bouge pas d’un poil. Il pensait pourtant qu’elle sortirait aussitôt. Il fait le tour de la voiture et ouvre la portière côté passager et se penche :

— Tu ne sors pas ?

Sa fille fixe silencieusement la maison. Rick ne comprend pas vraiment pourquoi. Il s’agit d’une maison on ne peut plus banale. S’imagine-t-elle quoi que ce soit par rapport à cela ? Parce qu’ils vivent en appartement ? Pourtant, il est persuadé que Bobbi ne gagne pas beaucoup plus sa vie que lui - même s’il n’a jamais songé à lui demander le contenu de son porte monnaie. Déjà d’une, parce que ça ne le regarde pas, et de deux parce que ça ne l’intéresse pas.

— Tu viens ?

Daphné semble se connecter à nouveau à la réalité et relève ses yeux bleus semblables à ceux de son père.

— Euh… Oui.

Il semblerait qu’elle soit devenue tout aussi nerveuse que lui, soudainement. A son tour, il lui offre un sourire rassurant et une fois à ses côtés, il prend la direction de la porte d’entrée et sonne. Il jette un coup d'œil derrière lui, Daphné donne l’impression d’avoir vu un fantôme. Pour tenter d’alléger un peu l’atmosphère, il lui dit :

— Ça va bien se passer, tu verras. Bobbi n’a encore jamais mangé personne. Et son fils non plus, de ce que j’en sais.

Au même moment, la porte s’ouvre et Rick reporte son attention droit devant lui. Bobbi apparaît resplendissante. Laissant de côté toutes ses inquiétudes, il salue leur hôte d’un léger baiser sur les lèvres. Il veut au maximum éviter à leurs enfants de se sentir mal à l’aise, mais il ne peut décemment pas saluer Bobbi comme une simple amie… Tandis que cette dernière porte toute son attention sur Daphné qui ose à peine mettre les pieds dans la maison, l’attention de Rick se porte sur un jeune homme le dépassant d’au moins une bonne demi-tête et presqu’aussi large que le couloir. Il savait que Jackson faisait du sport, mais il ne s’attendait pas à ce qu’un petit bout de femme comme Bobbi ait réussi à mettre au monde un géant…

— Jackson ? Enchanté, je suis Rick, dit-il en lui tendant la main. J’ai beaucoup entendu parler de toi.

Je soupirais devant mon miroir. Ma mère allait enfin me présenter son petit ami, Rick… ça me semblait étrange de me dire que ma mère avait une relation amoureuse. Il y avait longtemps qu’elle n’en n’avait pas eu. La dernière avait mal tourné et je m’étais retrouvé avec elle aux urgences. J’avais beau être très jeune, j’avais vite compris ce qui se passait. Et depuis ce jour, je m’étais donné une mission : protéger ma mère, coûte que coûte. Enfant, je n’avais pas pu mais aujourd’hui, ma musculaire me permettait de faire fuir les mecs relous et autres débiles qui auraient l’idée stupide de trop s’approcher d’elle. Mais je savais qu’un jour, je devrais la laisser vivre sa vie… j’étais d’accord pour qu’elle rencontre un homme et tout ce qui allait avec, simplement, je voulais m’assurer que ce dernier comprenne que si jamais ma mère pleurait par sa faute, je lui ferais regretter sa naissance !!

Je l’entendais déambuler dans la maison… entre le ménage, le repas à préparer… et elle avait refusé que je l’aide. Prétextant que j’allais faire n’importe quoi… pff, juste un peu de laxatif pour décoincer son mec, ce n’était pas grand chose, voyons. Quand j’avais soumis mon idée, elle avait hurlé que je n’avais pas fini de grandir et que je devrais plutôt aller dans ma chambre. Et elle m’avait chasse avec le balai, comme une vulgaire poussière dégoûtante. Les mères… mais j’avais obéis, trop heureux de ne pas avoir été mis à contribution. Je m’étais enfermé dans ma chambre. J’avais joué à la console, oubliant que j’avais un téléphone. Je m’étais préparé au dernier moment et voilà que j’étais devant mon miroir, à me demander si ma tenue conviendrait à ma mère. Son mec, je m’en foutais. Mais elle… c’était ma vie, je pouvais mourir pour elle, seul son bonheur comptait. Ah non, je mentais. Il y avait cette fille. LA fille. Elle était incroyablement belle, intelligente, drôle, créative. Et c’était ma petite amie, Daphné. Et moi, j’étais son idiot de petit ami qui n’avait pas regardé son téléphone, trop absorbé par son jeu vidéo. J’allais prendre mon téléphone quand je fus interpellé par Mme DeLaurence. Je pris tout de même mon téléphone et le rangeais dans la poche de mon jean avant de sortir de ma chambre. Comme d’habitude, ma mère tenta de me rhabiller, me coiffer à sa façon mais je ne me laissais pas faire. Je savais qu’elle était nerveuse. Alors pour la rassurer et lui témoigner de mon soutien, je la serrais dans mes bras. À une époque, elle me dépassait. Ma mère semblait si grande à mes yeux… mais aujourd’hui, sa tête était posée sur mon torse. Quand elle était dans mes bras, elle me semblait si petite, si fragile. Bordel, son mec avait vraiment intérêt à ne pas lui faire du mal ! Après lui avoir déposé un baiser sur le front, je m’écartais d’elle, la laissant respirer. J’avais beau voir deux têtes de plus qu’elle, voire trois, je restais un fils à maman. J’adorais lui faire des câlins, passer du temps avec elle, la taquiner… et je n’en avais pas honte.

Alors que je planifiais de nouvelles idées purement machiavéliques en me frottant les mains, on sonna à la porte. Maman alla ouvrir. Je la laissais s’envoler vers la porte, (c’est l’impression qu’elle me donnait), tandis que je restais dans le couloir. Je pris mon téléphone et vit que ma petite amie m’avait envoyé plusieurs messages. Daphné… c’était clairement mon premier amour. Avant elle, je n’étais jamais tombé amoureux. En fait, je me contentais de m’amuser, de papillonner. Jusqu’à ce qu’elle me mette le grappin dessus. Et depuis, je ne pouvais plus me passer d’elle, de sa présence, son sourire… je me sentais tellement fier à ses côtés. Je voulais lui offrir le monde à ses pieds pour qu’elle sache à quel point je l’aimais. Elle m’avait offert sa virginité et je n’avais pas encore trouvé une manière de lui montrer toute ma gratitude.
J’allais ouvrir l’un de ses messages quand je fus appelé à la porte. Décidément, cette dame a le chic pour me couper dans mes actions. J’arrivais à la porte et me retrouvais face a un homme qui avait l’air plutôt sympa. Mais la surprise fut quand je posais les yeux sur sa fille. Elle me regardait comme si j’étais un putain de fantôme. Mes yeux s’écarquillaient comme des soucoupes, j’eus un mouvement de recul. Je regardais ma mère, puis son petit ami, attendant que l’on me crie « C’EST UNE CAMÉRA CACHÉE ». Mais rien… Maman me demanda ce qu’il n’allait pas. Je ne savais pas comment réagir. Je tournais la tête vers Daphné. Je faisais des études de droit, mais en réalité, je comptais plus sur ses capacités mentales et intellectuelles que sur les miennes. Surtout maintenant. Mais rien. Et nos parents qui, dans toute leur innocence ne captait rien. J’inspirais et annonçais :

« Maman, je te présente Daphné, ma petite amie… et tu sors avec son père ! Mais ne restez pas à la porte, rentrez ! »

Je m’écartais ironiquement avant de disparaître dans la cuisine. Je respirais très fort et en fait… la surprise passée, j’étais en colère ! Contre qui ? Aucune idée mais je l’étais ! Ma mère se hâta de me rejoindre après avoir emmené Daphné et Rick, son père et accessoirement petit ami de ma mère, au salon. Elle entra dans la cuisine, l’air complètement affolé :

« Jake, si c’est une blague, ce n’est pas drôle !!

- J’aimerais te dire que c’est une blague, j’ai même cru que TU allais me dire que c’est une blague mais non ! Putain de bordel de merde !

- Jackson Eiden DeLaurence, surveille ton langage ou je te jure que tu vas la regretter ! »

Je regardais ma mère et en voyant son regard, je me dis tout petit. Elle avait beau avoir l’air toute mignonne… cette femme était dangereuse quand elle s’énervait. Seuls les fous osaient l’affronter !

« On va tirer cette histoire au clair, alors, au lieu de t’énerver dans ton coin comme un enfant capricieux, va au salon réconforter ta petite amie ! »

N’osant pas la contredire, je traversais la cuisine pour en sortir. Quand je passais à côté d’elle, Maman me donna une tape à l’arrière du crâne en murmurant « abruti ! ». Ok, je l’avais bien mérité. J’avais laissé Daphné, mais c’était parce que j’étais perdue. Avant d’entrer au salon, je regardais mon téléphone. Daphné m’avait envoyé des messages et si j’avais regardé avant, j’aurais peut-être pu éviter d’être surpris. Elle me prévenait que son père allait lui présenter sa petite amie. J’aurais pu lui répondre, oh tiens ma mère me présente son petit ami et il a une fille ! Je soupirais, c’était trop tard, pas besoin de s’étaler là-dessus ! J’entrais dans le salon, un air désolé sur le visage. J’entendis ma mère qui arrivait derrière. Je sentais son regard furibard qui fusillait mon dos.

« Désolé pour tout à l’heure… j’étais juste surpris… Monsieur Gracey, enchanté de vous rencontrer… » lui dis-je en lui tendant la main.

C’était une situation très… bizarre. Je pouvais jouer le fils protecteur mais il pouvait me rendre la pareille en jouant le père protecteur. L’un et l’autre avions des raisons de le faire… il sortait avec l’une des femmes de ma vie et je faisais de même. Si je brisais le cœur de sa fille, il me briserait les jambes. Et je pouvais faire de même… en clair, nous étions dans la merde. Mais ce n’était pas tout… j’aimais Daphné. Du plus profond de mon cœur. Je ne pouvais pas la quitter, pas même au profit de la relation que nos parents entretenaient ! J’étais trop heureux avec elle, je ne pouvais pas me résoudre à la quitter, c’était impossible. Qu’ils ne me demandent pas ça… je pouvais tout donner à ma mère mais pas ça…

Aujourd’hui, c’est un grand jour pour papa. Il y a quelques temps, il m’a confié souhaiter me présenter la femme qu’il fréquente depuis plusieurs mois. Je savais que ce jour arriverait. Depuis la mort de maman, il n’a jamais réellement pris le temps de refaire sa vie, trop occupé à nous reconstruire une vie à New York. Je l’ai écouté avec la plus grande des attentions. Il a fait de gros efforts pour me rassurer quant à la place que maman aurait toujours dans son cœur et dans nos vies. Je l’ai écouté religieusement, alors que mon avis sur la question est déjà fait depuis un moment maintenant : papa mérite d’être heureux avec une femme. Je sais qu’il ne m’a jamais trop parlé des fréquentations ou rencontres qu’il a pu faire jusqu’à présent parce qu’il ne voulait pas se précipiter. Donc j’en déduis que s’il souhaite que je rencontre celle-ci, c’est qu’il envisage quelque chose de suffisamment sérieux. Je revois encore son sourire heureux lorsque je lui ai dit que je rencontrerai cette personne avec plaisir. Et nous y voilà. Je ne sais pas grand-chose de Bobbi hormis qu’elle est la gentillesse incarnée, selon lui, et qu’elle a un fils de mon âge. Toujours selon lui, on devrait bien s’entendre. Je ne demande pas mieux. Je n’ai jamais envisagé d’avoir de frères ou de sœurs. Et puis, arrivée à vingt ans, je pense pas que le fils de Bobbi et moi nous nous considérons comme tels un jour, mais peut-être pourrons-nous devenir amis ? Ce serait déjà une très bonne chose.

Papa tourne littéralement en rond dans notre salon lorsque je sors enfin de ma chambre, prête pour la soirée. J’ai fait un petit effort vestimentaire, histoire de bien montrer à tout le monde que je prends à coeur cette rencontre. Et en voyant la tête de mon père, je sais qu’il apprécie ce geste. Après l’avoir longuement rassuré, nous descendons au garage souterrain pour prendre la voiture. Bobbi habite aussi Brooklyn, donc nous ne devrions pas avoir trop de bouchons. Confortablement installée sur le siège passager, je continue d’essayer de détendre l’atmosphère, sachant pertinemment que même si je suis sûre que tout va bien se passer, papa est suffisamment nerveux pour envisager un demi-tour express et nous ramener à la maison. Il ne le fait cependant pas. Parce qu’il n’est pas suffisamment bon menteur pour trouver une excuse à Bobbi sur la vraie raison pour laquelle il annulerait la soirée. Au fil des minutes qui suivent, la distance entre la maison de la copine de papa et nous s'amenuise. Nous arrivons dans un quartier que je connais plutôt bien puisque c’est dans celui-ci que Jake habite. Je ne peux pas empêcher un léger sourire de naître sur mes lèvres quand je songe que je pourrais aller lui rendre une petite visite à diverses occasions, si on en vient à venir par ici régulièrement. Sauf que mon sourire commence à se raidir quand je me rends compte que nous pénétrons précisément dans la même rue que celle de Jake et que papa se gare devant la maison de Jake.

Les palpitations de mon coeur double d’intensité tandis que je fixe cette maison que je connais. Est-ce que c’est une blague ? Est-ce que Jake a trouvé le moyen de contacter mon père pour organiser un truc à mon insu ? Non, papa n’a jamais été assez bon comédien pour me raconter du flan. La portière de la voiture s’ouvre et sa voix me tire de mes pensées lorsqu’il me demande si je compte sortir. Maladroitement, je m’extirpe du véhicule. J’essaie de me convaincre que peut-être il s’est garé devant chez Jake, mais que nous allons chez un voisin ? Non. Définitivement non. Parce que c’est bien devant sa porte que nos pas nous mènent. Je crois que mon cerveau n’est plus en capacité d’analyser ce qu’il se passe parce que je me retrouve soudainement dans les bras d’une femme au moins aussi grande que moi. Elle a un sourire rutilant. Elle respire la bienveillance. Et je voudrais lui rendre le sourire qu’elle m’offre, mais je suis figée. C’est pire lorsque mon regard se pose sur Jake qui débarque à son tour dans l’entrée dans l’optique de nous saluer. Je vois bien qu’il n’a pas plus l’air au courant que moi parce que ses yeux s’écarquillent lorsqu’il me voit enfin. Dans mon regard, j’essaie de lui transmettre toute ma détresse parce que je suis incapable de dire ou faire quoi que ce soit. Toutes mes capacités à raisonner ont fui loin d’ici, dans un autre univers où le moment présent n’est définitivement pas en train de se dérouler.

Je reste totalement abasourdie quand Jake me présente de but en blanc à sa mère comme étant sa petite amie, avant de me planter là pour fuir l’entrée, me laissant subir le regard de mon père et de sa mère. C’est un cauchemar. Je vais me réveiller. Si je le souhaite assez fort, je vais reprendre conscience dans mon lit où je me tape la meilleure sieste de ma vie. Dans deux minutes, papa va débarquer dans ma chambre pour me secouer et me rappeler qu’on doit aller dîner chez sa copine qui n’est pas la mère de Jake.

— Daphné ?

La voix de mon père me ramène à la réalité. Non, c’est pas un cauchemar. J’ai envie de faire demi-tour et de m’en aller en courant. Bobbi disparaît à son tour pour suivre Jake. Papa et moi sommes tous les deux là. Je vois l’inquiétude dans le regard de mon père. Il s’approche de moi, doucement. Ses gestes sont prudents, comme s’il avait affaire à un animal blessé.

— Tu vas bien ? Tu es toute pâle. Viens t’asseoir.

Délicatement, ses doigts se referment sur mon bras et il me conduit vers le salon. Mes jambes ont du mal à se mettre en route, mais elles se déverrouillent et suivent mon père vers le canapé. D’une pression sur mon épaule, mes genoux fléchissent et je me retrouve assise. Mon manteau toujours sur le dos, je crois que je fixe le vide. J’entends la voix de Jake près de moi qui s’adresse à papa en se présentant. Je sais pas ce que mon père lui répond exactement. Mon cerveau s’est tiré dans le premier avion pour aller à Bali. Un temps passe avant qu’on s’adresse de nouveau à moi. Toujours papa.

— Ma chérie, dis quelque chose, tu me fais peur…

Papa a toujours fait de son mieux pour gérer le rôle de maman, mais il y a des situations qui lui ont toujours échappé. Et dans sa maladresse, il a toujours fait tout ce qu’il pouvait.

— Je crois que je vais vomir…

C’est tout ce dont je suis capable de sortir. Mais j’entends bien la voix paniquée de mon père qui réclame soudainement une bassine. Sauf que je ne suis même pas sûre de régurgiter quoi que ce soit étant donné là où en sont mes capacités cognitives.

Bobbi n’aurait jamais pensé que cette rencontre prendrait cette tournure. Oui, son fils pouvait être une tête de gland mais il n’était pas méchant. Il cherchait à la protéger, il ne voulait pas la voir souffrir. Et même s’il jouait souvent le fils jaloux refusant de partager sa mère, il lui avait toujours dit qu’il serait là pour elle et qu’il accepterait un éventuel beau-père si ce dernier était à la hauteur de ses attentes. Mais ce qui se passait… ça, Bobbi ne l’avait envisagé une seule seconde. Quand elle avait ouvert la porte, elle avait accueilli cet homme adorable qui la faisait rire et mettait un peu plus de joie dans sa vie. En posant le regard sur sa fille, Bobbi s’était dit qu’elle était jolie, quoi qu’un peu pâle. Elle s’était même demandé si elle ne couvait pas quelque chose. Mais elle n’avait rien dit, se contentant de faire venir son fils. Et le drame arriva. Jake était resté interdit. Fixant Daphné, puis Rick pour finir par elle-même. Fronçant les sourcils sans comprendre, la mère demanda :

« Jake, qu’est qui t’arrive ? »

Et il lâcha la bombe avant de s’en aller à la manière d’un acteur après une tirade magistrale. Bobbi mit quelques secondes à comprendre ce que son fils venait de lui annoncer. Jake et Daphné… non, ce n’était pas possible… c’était tout ce qu’elle put penser. Bobbi comprit alors l’air malade de la jeune femme. Jake avait du la ramener ici. Reprenant ses esprits, elle se tourna vers eux.

« Ok, entrez. On va régler ça, venez avec moi. »

Elle les fit rentrer, prit leurs manteaux qu’elle s’empressa de ranger dans une petite armoire présente dans l’entrée. Bien que Rick connaisse les lieux, elle les accompagna au salon. Avant de rejoindre son fils, elle s’approcha de son petit ami et lui murmura :

« Je vais voir Jake, je vais le calmer, je peux vous laisser quelques minutes ? »

Quand il lui répondit par l’affirmative, un air choqué sur le visage, elle lui embrassa la joue. L’instinct maternel de Bobbi était tiraillé. Elle voulait s’occuper de son grand dadet de fils mais l’air dévasté de Daphné l’inquiétait tout autant. La pauvre semblait sur le point de s’évanouir. Ce qu’elle comprenait. Si elle avait été à sa place, elle aurait sûrement réagit de la même façon. Mais elle était la mère, elle avait vécu des situations bien plus difficiles, ce qui lui permit de conserver son calme. Du moins, en apparence car dans sa tête… c’était le bazar ! Tout s’embrouillait, se mélangeait pour former une merde sans nom, comme dirait Jackson. Elle rejoignit ce dernier dans la cuisine. Mais plus elle approchait de la cuisine, plus la panique s’emparait d’elle. Et c’est affolée qu’elle pénétra dans la cuisine :

« Jake, si c’est une blague, ce n’est pas drôle !!

- J’aimerais te dire que c’est une blague, j’ai même cru que TU allais me dire que c’est une blague mais non ! Putain de bordel de merde !

Jackson Eiden DeLaurence, surveille ton langage ou je te jure que tu vas la regretter ! »

Jackson avait beau mesurer 1m80, peser deux fois son poids, Bobbi avait un don pour calmer son fils. Et quand il dépassait les bornes, elle n’hésitait pas à le remettre sur le droit chemin. Comme toutes les mères, elle possédait un regard redoutable qui effrayait les enfants, même une fois adulte. Et comme toujours, il se calma, comprenant qu’elle ne rigolait pas. Après tout, la situation était aussi compliquée pour elle que pour son fils. Et c’était la même chose pour Rick et Daphné !

« On va tirer cette histoire au clair, alors, au lieu de t’énerver dans ton coin comme un enfant capricieux, va au salon réconforter ta petite amie ! »

Jackson n’osa pas ouvrir la bouche. Elle le vit se redresser, comme s’il reprenait son courage à deux mains puis il se décida à quitter la cuisine. Quand il passa à côté d’elle, Bobbi allongea le bras et lui donna une claque derrière la tête en murmurant :

« Abruti ! »

Bobbi ne comprenait pas qu’il ait réagit de cette façon. Oui, il était impulsif et avait parfois des réactions de garçon de 5 ans mais ce n’était pas une raison pour abandonner sa copine ! Il n’avait pas pensé à ce qu’elle pouvait ressentir à ce moment ?? Secouant la tête, elle le suivit dans le salon. Bobbi entra dans le salon au moment où son fils présentait ses excuses. Elle était furieuse et son regard transperça le dos de son fils. Bobbi resta silencieuse pendant l’échange des deux hommes. Malgré la situation, son cœur se gonfla d’amour pour eux. Jackson avait tellement grandi. Son petit bonhomme était à présent un homme, pas toujours très malin, mais un homme. Elle en était fière. Et puis face à lui, il y avait Rick. Un homme qui lui avait montré qu’elle pouvait connaître une relation pleine de tendresse, sans violence, sans peur. Elle se sentait en sécurité avec lui. Il lui apportait la stabilité dont elle avait cruellement manqué !

Rick s’approcha de sa fille pour savoir si elle allait mieux. Mais Daphné murmura quelque chose qu’elle n’entendit pas. Mais Rick, si. Il se tourna paniqué, réclamant une bassine. Daphné allait vomir ! La maîtresse de maison prit le pas ! Elle alla récupérer une bassine dans la cuisine et la mit juste sur les genoux de Daphné. Puis elle prit conscience que ces deux hommes qui l’aimaient étaient en train de l’étouffer ! Rick à ses pieds, Jake, bien qu’il gardait une certaine distance (sûrement à cause de son dégoût pour le vomi qui le ferait vomir à son tour), était là aussi, prêt à intervenir. Bobbi prit les choses en main.

« Les garçons, vous allez m’aider. Jake va me chercher des crackers et toi Rick, tu prends des torchons. Vite ! »

Ni une, ni deux, ils se dépêchèrent de disparaître dans la cuisine. Profitant de leur absence, Bobbi se tourna et doucement, elle dit à Daphné :

« Pendant qu’ils sont occupés, viens avec moi dans la salle de bains. »

Tenant la bassine, au cas où, elle emmena la jeune fille dans la salle de bains se trouvant au rez-de-chaussée. Elle ferma la porte à clé pour que Daphné puisse avoir un moment seule, le temps que la nausée disparaisse. Malgré sa peur que la jeune femme ne le repousse, elle s’approcha d’elle. Daphné était penchée au dessus des toilettes. Bobbi lui dégagea le visage en tenant ses cheveux en arrière :

« Prends ton temps… »

Bobbi voulait faire bonne impression auprès de la fille de Rick mais elle n’aurait jamais pensé que la situation serait aussi compliquée ! À travers la porte, elle entendit Jake et Rick retourner au salon. Ils n’allaient pas apprécier leur disparition quand ils comprendraient qu’elle les avaient envoyé loin pour s’éclipser avec Daphné. Mais c’était ce qu’il y avait de mieux. Daphné n’avait pas besoin d’un Jake surexcité et d’un Rick super protecteur. Et puis, ça les obligerait à parler !

Rick met de côté sa nervosité afin de faire bonne impression auprès du fils de Bobbi qui arrive à son tour dans l’entrée. Il sait à quel point Jackson compte pour sa mère. Au même titre que Daphné compte énormément pour lui. L’objectif, c’est de réussir à passer une bonne soirée tous ensemble afin de pouvoir ouvrir des perspectives d’avenir entre les deux adultes en proie à refaire leur vie. Et pourquoi pas ensemble ? Alors qu’il tend sa main vers l’armoire à glace qui sert de fils à Bobbi, Rick s’attend à beaucoup de chose sauf à l’annonce soudaine qui tombe comme une enclume sur leurs têtes. Soudain, il ne sait plus du tout où regarder. Ses yeux oscillent entre Daphné plus pâle qu’un cadavre, le jeune homme visiblement énervé, et Bobbi qui n’a pas l’air de comprendre plus que lui ce qu’il se passe. Comment ça, Jackson et Daphné sont ensemble ?! Il faut un temps à ce père de famille pour que le puzzle s’emboîte et que l’annonce fasse sens dans son esprit. Sans que personne ne le sache, il s’est mis à côtoyer la mère du petit ami de sa fille. A l’entendre, on pourrait croire au mauvais scénario d’un feuilleton de télé mais ce n’est ni plus, ni moins que la réalité toute crue. Rien d’étonnant à ce que Daphné soit choquée. Mais et lui, alors ?

Bobbi est partie régler le souci avec son fils. Rick aimerait pouvoir faire de même avec sa propre fille, mais celle-ci est plongée dans un mutisme inquiétant. Elle fixe obstinément le vide. Est-elle dans un état catatonique ? Doit-il appeler une ambulance ? Il n’en sait rien. Manon saurait ce qu’il faut faire. Elle savait toujours quoi faire. Il chasse ces pensées avant de les laisser le bouffer et le faire douter de ses capacités à gérer la situation. C’est un de ses principaux problèmes en tant que père seul avec sa fille : même si la mort de sa femme remonte à quelques années, il continue constamment de douter. Le retour de Jackson dans le salon détourne l’attention de Rick de Daphné. Le fils de Bobbi s’approche de lui en s’excusant de son comportement et en lui tendant la main. Sans se faire attendre, Rick lui offre la sienne pour une poignée de mains.

— Enchanté également, dans ces drôles de circonstances.

Il jette encore un œil à Daphné qui n’a ni bougé, ni décroché le moindre mot. Elle l’inquiète vraiment, là ! Il relâche la main de Jackson pour se concentrer à nouveau sur elle et la supplie presque de dire quelque chose. La main qu’il pose sur son épaule semble la ramener à la vie car elle lui annonce d’une petite voix qu’elle est prête à vomir.

— Bobbi, une bassine, s’il te plaît. Elle va vomir !

Là, Rick panique tellement qu’il en est réduit à coller ses deux mains en coupe sous le nez de Daphné au cas où celle-ci vienne vraiment à mettre sa menace à exécution. L’idée ne l’enchante pas des masses et si elle pouvait se retenir jusqu’à ce que Bobbi revienne avec une bassine, ça l’arrangerait. D’ailleurs, la dite bassine ne tarde pas à arriver, et Rick peut se remettre à respirer un peu. Bobbi semble comprendre la détresse qui l’anime parce que sans qu’il ne le lui demande, elle est bien décidée à prendre les choses en main. Comme un seul homme, Jackson et lui se dépêchent de se rendre en cuisine pour récupérer les crackers et les torchons. Sauf qu’au moment où ils reviennent dans le salon, les deux femmes ont disparu. Envolées. Rick se fige légèrement en haussant un sourcil. Où sont-elles passées ? Il croit entendre une porte se fermer. Elles ont fui. Peut-être que Daphné a eu le temps d’aller vomir dans les toilettes ? Et que Bobbi l’a accompagnée ? Il y a définitivement des choses que les femmes gèrent mieux que les hommes quand il s’agit des enfants… Il reporte son attention vers Jackson et se décide ainsi à engager la conversation.

— Alors comme ça, tu es le petit ami de ma fille ?

Il n’a pas vraiment prévu que son ton soit aussi dur, mais il faut croire que son instinct de papa a repris le dessus… Mais il faut aussi qu’ils tirent toute cette situation au clair, tous les quatre. Surtout que cela semble affecter gravement Daphné, et il est hors de question que Rick accepte de la laisser ainsi dans le mal.

Bon, j’avais merdé. Vraiment merdé. En découvrant que ma petite amie était la fille du petit ami de ma mère, j’avais vrillé. J’étais en colère parce que je pensais à une blague. Mais la vérité, c’est que je masquais la trouille que j’avais de me retrouver face à lui. Je ne m’étais pas préparé à le rencontrer. Pour moi, je devais passer la soirée à interroger l’homme que fréquentait ma mère. Pas me retrouver face à l’homme qui avait élevé ma copine ! J’avais alors fuis pour ne pas voir le visage de Daphné qui avait pâli. Je refusais de me retrouver face à Rick qui comprendrait que j’étais le petit ami de sa fille et qui aurait certainement envie de me coller au mur, histoire de me faire comprendre que Daphné n’était pas un jouet. À sa place, je l’aurais fait. Si un jour, je devais avoir une fille, aucun garçon ne pourrait l’approcher ! Je la garderais cachée dans une cave pendant au moins 45 ans. Et même lorsqu’elle sortirait, je lutterais becs et poings (les ongles ce n’est pas assez !) pour empêcher quiconque de lui faire du mal !! Même si je doutais que Daphné me laisserait faire… attendez une minute… je pensais à l’éventualité d’avoir des enfants avec Daphné !! Et dans un moment pareil ! Waouh, je devais vraiment avoir le cerveau à l’envers !!
Maman m’avait rejoint dans la cuisine histoire de me passer un savon. Je n’aurais pas dû laisser Daphné seule. Elle était complètement désemparée et moi je fuyais. Que je le veuille ou non, c’était ma première rencontre avec le premier homme de sa vie. Suivant les ordres du colonel Bobbi, je me rendis dans le salon, non avant pris une claque à l’arrière du crâne. Marmonnant un petit « aïe » en me passant la même sur la tête, j’entrais au salon.

Me comportant enfin en adulte, je tendis la main vers Rick pour le saluer et m’excuser pour mon coup de sang. Il ne m’en tint pas rigueur et me serra la main. Je le vis jeter un cœur d’œil à Daphné. Elle était assise sur le canapé, silencieuse et blanc comme un cacher d’aspirine. J’aurais dû m’approcher d’elle pour la réconforter, lui parler. Mais je n’osais pas. Déjà parce que je me disais qu’une claque sur la tête m’avait suffit. Et ensuite, je ne savais pas comment me comporter face à son père ! Si j’étais trop proche de sa fille, est-ce qu’il allait voir rouge ? Et puis, si je la prenais dans mes bras, comprendrait-il que j’étais celui qui avait fait voir le loup à sa fille ?? J’étais un homme mort !!!
Rick s’approcha de Daphné pour l’amener à parler. Et d’une voix éteinte, elle se contenta d’une seule phrase qui déclencha la panique : je crois que je vais vomir. OH NON PAS ÇA !!! Si elle se mettait à ressortir ce qu’elle avait mangé plus tôt, j’allais l’accompagner ! Le vomi me faisait vomir ! Et je détestais vomir ! Je gardais mes distances, observant nos parents prendre les choses en main… en réalité, ma mère était la seule à être opérationnelle ! Même Rick semblait totalement désemparé face à cette situation ! Malgré tout, je me tenais prêt, si ma mère avait besoin, je ne reculerais pas. Je vomirais en soutien à Daphné mais je serais là !

« Les garçons, vous allez m’aider. Jake va me chercher des crackers et toi Rick, tu prends des torchons. Vite ! »

Chercher des crackers ? C’était dans mes cordes, j’entraînais avec moi le père de Daphné. Dans la cuisine, j’ouvris un placard et lui tendit les torchons tandis que je me munissais de deux ou trois paquets de crackers. Bah quoi ? Je ne savais pas combien de temps ses nausées allaient durer !
Nous retournions alors dans le salon et… personne. J’entendis la porte de la salle de bains se refermée plus loin dans le couloir. Je restais là, les bras ballants. Maman nous avait bien eu ! Maintenant je me retrouvais tout seul avec Rick. Je ne savais pas si je devais m’en réjouir ou me jeter à ses pieds en l’implorant de ne pas trop m’amocher.

« Alors comme ça, tu es le petit ami de ma fille ? »

Je tournais la tête vers lui. Je sentais bien à son ton qu’il n’avait pas oublié mon statut. J’étais passé du fils de sa copine à petit ami de sa fille. Il devait être aussi perdu que moi par la situation complètement folle que nous vivions. Je me tournais vers lui et lui répondis du tac au tac :

« Alors comme , vous êtes le mec de ma mère ? »

Bah c’est vrai… à la base, c’était à moi de jouer le rôle de l’homme protecteur. Sauf que je n’en avais pas eu le temps ! Et je tenais au bonheur de ma mère autant que lui à celui de Daphné. Même si je me sentais con de ne pas avoir été présent quand il fallait, il n’en restait pas moins que je l’aimais ! Sentant que nous n’avancerions pas si je jouais ma tête de gland, comme disait ma mère, je lui dis :

« Écoutez, je sors avec votre fille et vous avec ma mère. C’est super bizarre mais… Daphné, j’en suis dingue. Vraiment. Je suis vraiment amoureux d’elle et je sais que vous ne me croirez peut-être pas mais je peux vous promettre que je ne la ferais jamais souffrir. »

Je me passais la main dans les cheveux. Il n’y avait pas un manuel qui pouvait expliquer comment gérer ce genre de situation ? Je continuais alors :

« Vous savez, ma mère a beaucoup souffert avec son ex… »

Au souvenir de l’homme qui avait levé la main sur ma mère, mon poing se referma, blanchissant mes phalanges. J’étais le genre de mec drôle, optimiste, qui passe son temps à raconter des blagues et à faire rire son entourage. Mais quand il s’agissait du passé violent que j’avais connu avec la femme qui m’avait mit au monde, je ne pouvais m’empêcher de me sentir coupable. À l’époque, j’étais trop jeune pour pouvoir la protéger. Tout ce que j’avais réussi à faire, c’était l’emmener tant bien que mal à l’hôpital. Face à sa détresse, je m’étais retrouvé totalement impuissant, incapable de la protéger ou de lui épargner la douleur. Je m’étais tenu à ses côtés, serrant sa main, les larmes aux yeux. Cette nuit, je m’étais juré de ne plus jamais laisser un homme lever la main sur elle.
Je devais avoir un regard perdu dans le vide, froid et dur car je sentis la main de Rick me ramener à la réalité. Sa voix plus posée que la mienne m’ancrant dans le présent, tandis qu’il m’assurait que comme moi, il ne ferait pas de mal à ma mère. J’inspirais profondément avant de hocher la tête. Et même si je le connaissais à peine, je savais qu’il me disait la vérité. Il avait élevé Daphné et cette femme était tellement incroyable que son père ne pouvait pas être un monstre sans cœur !

Prise de vertige et de nausées, je ne m’attendais certainement pas à ce que cette soirée vire ainsi à la catastrophe. Le choc me laisse silencieuse. J’ai l’impression d’être totalement hors du temps. Je n’ai plus aucun contrôle sur la situation. Il n’y a pas que moi qui suis surprise. Je vois bien la tête de Jake. Je croyais qu’il viendrait vers moi pour me soutenir, ou me dire que tout ça n’est qu’une vaste plaisanterie qu’il a mis en place. Mais non. Il m’a littéralement abandonné. Et quand je m’en rend compte, j’ai d’autant l’impression de m’être mangé un mur lancé à pleine vitesse… Il n’y a que mon père qui semble se préoccuper encore un peu de mon état. Je l’accompagne silencieusement jusqu’au salon et je m’assois sur le canapé. Je distingue les voix autour de moi, mais mon cerveau n’est pas plus en capacité de comprendre tout ce qu’il se dit. Je ne sais pas trop combien de temps se passe lorsque papa me supplie presque de dire quelque chose. Et la seule chose que j’arrive à dire c’est que j’ai envie de vomir.

Aussitôt, ça s’agite autour de moi. C’est le branle-bas de combat. Papa n’a jamais été en mesure de gérer ces crises là. Ça ne faisait pas peur à maman de venir avec moi pour m’aider à tenir mes cheveux pendant que mon estomac se vidait. Depuis qu’elle est partie, j’ai affronté ces moments seule. Ce n’est pas bien grave, en soi. Je suis une grande fille. Je peux gérer mes vomissements. Mais là, je ne me sens pas capable de me lever sur mes deux jambes pour me diriger vers les toilettes. Alors, je ne bouge pas d’un pouce. Peut-être que si je reste immobile, ma nausée va passer et je n’aurais pas besoin de rendre le contenu de mon estomac qui remonte à ce midi… Une silhouette féminine s’approche de moi, et je lève mes yeux vers Bobbi qui m’invite à la suivre. Mes jambes reprennent un peu vie, et mon corps accepte de se lever. Je la suis jusqu’à la salle de bain du bas et une fois à l’intérieur, je me dirige vers les cabinets. J’ai une soudaine remontée acide, mais pas suffisante pour que quoi que ce soit sorte.

Agenouillée au sol, j’attends de voir que ça passe. J’ai chaud, et j’ai froid. C’est le contre-coup, je le sais. Je travaille sur ma respiration pendant quelques secondes, je profite de ce moment de calme. Soudain, deux mains chaudes viennent repousser quelques mèches de mes cheveux qui sont tombés sur mon visage. Des réminiscences surgissent. Je ne suis pas toute seule.

— Je suis tellement désolée, je souffle, honteuse de la situation.

Je relève la tête vers Bobbi qui m’offre toujours un visage avenant. Qui aurait cru que je rencontrerais la mère de celui que j’aime, et la copine de mon père en même temps ? Quelle impression est-ce que je lui offre ? Je dois lui faire franchement pitié.

— Je voulais pas que ça se passe comme ça, je continue. Je comprendrai que vous soyez en colère.

Bobbi avait souvent entendu que les femmes géraient mieux les situations de crise que les hommes. En tout cas, quand il s’agissait des enfants. L’instinct maternel, sans doute. Quand tout cet imbroglio avait commencé, elle avait prit cela pour une blague de mauvais goût de son fils. Jake avait parfois de drôles d’idées. Mais en voyant la réaction de Daphné, elle avait comprit que c’était bien plus compliqué que ça en avait l’air. Jake avait la priorité donc elle avait commencé par aller calmer cette tête de mule avant de rejoindre Rick et sa fille dans le salon. Elle pensait aussi qu’il pourrait prendre les choses en main avec la jeune femme mais en revenant, force était de constaté que le pauvre homme était dépassé par la situation. Et si sa fille n’avait pas eu l’air aussi mal en point, Bobbi se serait attendrie devant sa mine inquiète. Non pas qu’elle se réjouissait du malaise, simplement elle trouvait cela adorable de voir son petit ami aussi attentif aux besoins de sa fille. Et quand Daphné exprima son envie de vomir, elle prit les choses en main. Ce n’était pas Rick et ses mains en coupe qui allait retenir le vomi potentiel de la jeune femme. Envoyant les deux hommes chercher différentes choses dans la cuisine, elle en profitant pour amener la petite amie de son fils dans la salle de bains pour qu’elle puisse avoir un moment tranquille pour digérer la nouvelle, sans mauvais jeu de mots. Et puis si elle devait vomir, autant qu’elle le fasse aux toilettes plutôt qu’au milieu du salon.

Daphné se laissa tomber devant les toilettes et plongea la tête dedans. Bobbi, incapable de la laisser seule face à sa détresse, s’agenouilla pour ramener ses cheveux en arrière avec douceur. Elle n’était pas pressée et était prête à attendre le temps qu’il faudrait à Daphné pour se remettre de ses émotions. Et puis, ça lui laissait le temps pour elle de faire face aux siennes également. Elle avait envie de rire nerveusement. Contrairement aux jeunes gens, elle prenait la situation beaucoup plus calmement. Le ciel ne leur tombait pas sur la tête ! Si Daphné lui annonçait être enceinte, là, elle serait complètement paniquée ! Elle fréquentait le père de la petite ami de son fils… ok, cette situation était inédite et elle ne savait absolument pas comment gérer la situation mais elle n’était insurmontable ! Et puis Jake et Daphné pouvait continuer leur relation, ce n’était pas comme s’ils avaient découvert qu’ils étaient liés par le sang ! Si elle venait à se marier avec Rick ou s’ils avaient un enfant… elle arrêta le cours de ses pensées. Elle pensait au mariage et des enfants avec Rick… mais était-ce seulement possible ? Légalement, oui, ils étaient deux adultes consentant sans aucune affiliation… mais étaient-ils prêts ? Ils n’en avaient jamais parlé et Bobbi n’avait jamais réfléchi à la question. Mais ce n’était pas le moment. Daphné releva la tête pour s’excuser, regrettant que les choses se soient passées de cette façon. Bobbi lui offrit un sourire rassurant en secouant la tête.

« Eh, tu n’as pas à t’excuser. C’est normal, la situation est… bizarre. »

Machinalement, sans même sans rendre compte, Bobbi lui lissa les cheveux, sûrement l’habitude de mère ou simplement un désir enfoui depuis longtemps refaisant surface. Quand elle avait débuté sa relation avec Scott et que tout était encore tout beau, tout rose, Bobbi avait envisagé d’avoir un enfant avec lui. Elle avait espéré avoir une petite fille. Son fils était toute sa vie, elle l’aimait plus que sa propre vie mais elle aurait voulu avoir d’autres enfants, que Jake se sente un peu moins seul. Mais c’était peut-être une bonne chose qu’elle n’ait pas eu d’enfant avec cet homme. Peut-être qu’il aurait été tout aussi violent avec cet enfant aussi.

« Je le cache très bien mais je suis sous le choc, je ne m’attendais pas à rencontrer la petite amie de mon fils ce soir. Mais au moins, je peux enfin mettre un nom sur un visage et Jake a raison, tu es très belle… même toute pâlotte. » dit-elle en riant, espérant voir un sourire sur ce visage triste. Elle écarta une mèche de cheveux du visage de Daphné avec douceur.

Bobbi comprenait la jeune femme. Elle pensait rencontrer la petite amie de son père et son fils. Elle ne pensait pas se retrouver face à son petit ami et sa mère. Elle voulait faire bonne impression pour Rick comme Jake avait voulu le faire pour elle – même s’il avait menacé de faire subir un interrogatoire à Rick. Chacun d’entre eux avait eu une réaction différente et personne ne pouvait les blâmer de fuir en colère, ou de se sentir nauséeuse ou dépasser par les événements. Il n’y avait pas de mauvaise réaction dans les leurs. Et Bobbi ne pouvait en vouloir à Daphné.
Bobbi tendit l’oreille entendant les deux hommes discuter. Elle espérait simplement que les choses se passent bien. Deux hommes prêts à protéger la femme qu’ils aimaient, ça pouvait faire des étincelles, mais elle leur faisait suffisamment confiance pour attendre d’eux qu’ils se comportent en adulte… même si elle avait quelques doutes concernant Jackson.

Bobbi avait toujours été une femme posée, capable de garder son sang-froid dans les situations les plus étranges, mais là, c’était un vrai test pour ses nerfs. Elle se rappelait des paroles de sa grand-mère qui lui disait que la vie était pleine de surprises, et cette soirée en était certainement une. En voyant Daphné se remettre un peu, elle ne put s’empêcher de penser à tout le chemin parcouru depuis sa propre jeunesse, les erreurs commises, les choix difficiles… et voilà qu’à présent, elle se retrouvait dans une situation digne d’un scénario de comédie romantique. Elle regarda Daphné avec un mélange de sympathie et de compréhension.

« On est tous un peu perdus dans cette histoire, mais je suis sûre qu’ensemble, on peut en rire un jour. »

Bobbi avait toujours été le roc de la famille, la personne sur qui on pouvait compter. Et même si son monde avait été un peu chamboulé ce soir, elle savait qu’elle serait là pour sa famille, quelle que soit sa forme. Elle passa doucement sa main sur le dos de Daphné, un geste de réconfort maternel qu’elle avait toujours eu pour son fils.

« On va prendre ça étape par étape, et voir où ça nous mène. Et qui sait, peut-être que ça nous mènera à quelque chose de merveilleux. »

Elle sourit, espérant apporter un peu de chaleur dans le cœur de Daphné.
Bobbi avait toujours cru que chaque situation, aussi compliquée soit-elle, apportait avec elle une leçon de vie. Et elle était prête à apprendre et à grandir avec cette nouvelle dynamique familiale.

La confusion règne. La situation est particulière. C’est un choc, en réalité. Pourtant, au lieu de prendre le temps de réfléchir à tout ce qui se passe, Rick est préoccupé par l’état de Daphné qui semble comme un état second. Il semble évident que c’est elle qui est le plus touchée par la situation, et en bon parent qu’il espère être, il met ses propres états d’âme de côté pour s’assurer qu’elle va bien. Ou mieux. Ou tout du moins qu’elle réagisse à nouveau car son état catatonique l’effraie. Peut-être devrait-il appeler une ambulance ? Sauf que lorsqu’elle réussit enfin à parler, c’est pour lui annoncer qu’elle va vomir, et la panique le gagne. Il a toujours été nul sur ce plan-là. Manon savait toujours quoi faire lorsque leur fille était malade. C’était elle qui s’asseyait à côté d’elle et qui lui tenait les cheveux, qui passait une main rassurante dans son dos tout en lui affirmant que ça irait bien mieux après ça. Rick a bien essayé une fois. Mais ça a été une catastrophe. Il s’est vite rendu compte qu’entre ce qu’il faisait et rien du tout, c’était exactement pareil. Alors, il a arrêté et il se contente désormais d’être présent, de loin. On ne peut définitivement pas être bon dans tous les domaines. Ça a été dur de l’assumer, mais il a fait la paix avec ça.

Bobbi, quant à elle, ne semble pas du tout impressionnée par la situation car finalement, c’est elle qui prend les choses en main et qui l’envoie, avec son fils, dans la cuisine pour chercher des crackers et des torchons. Rick et Jackson se rendent immédiatement dans la cuisine. Il obéit lorsque le fils de sa petite amie - et le petit ami de sa fille, bon sang ! - lui indique le placard à torchons. Il se saisit d’au moins cinq d’entre eux, ne sachant pas du tout de combien il va falloir. Comme un seul homme, ils retournent dans le salon pour le trouver vide. Elles ont disparu. Et quand il le remarque, Rick se fige et se demande où est-ce qu’elles sont passées. Il lui faut un petit temps avant que son cerveau ne comprenne que Bobbi a usé de ruse pour être seule avec Daphné et l’éloigner des deux incapables que Jackson et lui sont lorsqu’il s’agit de vomi. Il lâche un soupir et jette un œil sur son tas de torchons puis aux nombreux crackers que Jackson. Ils ont l’air de deux imbéciles comme ça. Rick s’éclaircit légèrement la gorge et décide d’engager la conversation. Sauf que le ton de sa voix est un brin plus dur qu’il ne l’aurait souhaité au départ. A croire que l’instinct paternel le fait parler pour lui. Néanmoins, il ne peut pas empêcher un demi-sourire de naître sur ses lèvres face à la réponse de Jackson.

— Bien envoyé, dit-il.

La situation est rocambolesque. Il faut bien l’avouer. Cependant, certaines choses font sens… Ca explique un peu le fait qu’ils ne se soient jamais croisés auparavant et que toutes les fois où Bobbi lui a dit que son fils était en compagnie de sa petite amie coïncident avec les fois où sa propre fille était en compagnie de son mec. Jamais il n’a fait le lien. Peut-être parce que c’était trop gros pour que ce soit une explication plausible. Et pourtant… Rick n’a pas le temps de dire autre chose que Jackson continue dans sa lancée. Il observe le jeune homme. L’honnêteté de ses paroles à propos de Daphné peut être difficilement remise en cause. Il a cette légère étincelle dans le regard. La même que sa fille lorsqu’elle lui parle de lui. Il connaît cette étincelle. Lui-même l’avait lorsqu’il était aux côtés de Manon. Elle transparaît encore sur leurs photos : surtout lorsqu’ils étaient encore deux adolescents qui découvraient les premières joies amoureuses.

Jackson semble moins s’inquiéter de sa réaction vis-à-vis de sa fille plutôt que pour sa mère. Rick n’ignore absolument rien de ce que Bobbi a vécu par le passé. Il accepte chacune de ses blessures et chacune de ses fêlures. Il espère pouvoir combler chaque brèche restante. Il prend son temps avec elle. Il n’y a que sa décision de présenter leurs familles qui s’est faite sur un coup de tête. Pour le reste, Rick comprend chacun de ses doutes, chacune de ses hésitations. Il la rassure comme il peut. Les démons n’ont pas totalement quitté cette famille. Il n’y a pas que Bobbi qui a été impactée par cette relation. Jackson a beau être aujourd’hui un homme, ses pupilles sont hantées. Quelque part, il doit y avoir encore ce gamin qui n’a pas eu d’autre choix que d’observer en silence. Doucement, Rick pose sa main sur son épaule pour le ramener au moment présent.

— Je sais ce que ta mère a vécu avec son ex… Je suis le premier désolé que ce type ait croisé votre route. Je veux que tu saches que je suis pas comme ça. Et je prendrais le temps de te le prouver aussi, si tu m’en laisses l’occasion.

Sa relation avec Bobbi est plutôt récente et parfois encore un peu fragile. Rick ne sait pas de quoi sera fait demain. Peut-être que d’ici quelques mois ils se rendront compte qu’ils ne sont pas faits l’un pour l’autre et continueront leurs chemins de manière séparée ? Après tout, nul ne sait ce que l’avenir leur réserve. Mais jamais il ne lui ferait du mal sciemment.

— Et pour Daphné, tu n’as pas grand chose à me prouver. Je n’ai qu’à la regarder pour savoir qu’elle a trouvé en toi quelque chose qui lui manquait. La surprise, c’est de découvrir qu’on est tous bien plus liés que prévu…

Il hausse les épaules et il dépose les torchons sur la table, puisqu’ils sont inutiles.

— Ces derniers mois, j’ai retrouvé ma fille telle qu’elle était avant que sa mère décède, continue-t-il en ressentant une vague de nostalgie. Daphné avait perdu sa joie de vivre, ce qui est normal me diras-tu. Si je l’ai emmené ici, c’est pour qu’on puisse se reconstruire, peu importe comment. Elle allait un peu mieux, mais je crois que ce n’est que lorsque vous avez commencé à vous fréquenter qu’elle est ressortie de sa coquille. Alors, je tiens à te remercier pour ça.

Si je m’étais attendu à une telle situation ? Absolument pas ! En fait, je pensais jouer le fils protecteur, qui mettrait un peu mal à l’aise le petit ami de sa mère. Sauf qu’en voyant Daphné avec son père sur le pas de ma porte… J’ai vrillé et je ne savais pas pourquoi, je m’étais énervé… Non, en réalité, je savais pourquoi toute cette situation m’avait mit dans cet état de colère. Si nos parents se fréquentaient, ça voulait dire qu’on ne pouvait plus se fréquenter… Enfin, je n’en savais rien, je me sentais totalement perdu et dépassé par cette situation. Et, je refusais de perdre Daphné, je l’aimais beaucoup trop pour la quitter. Mais nous n’en étions pas encore là. Pour l’instant, je me retrouvais à discuter avec son père. Je savais qu’un jour ou l’autre, j’allais le rencontrer mais… Je n’avais pas imaginé que ce serait dans ces circonstances. Et grâce à ma chère maman, je me retrouvais seul avec Rick. Je me demandais même si elle ne l’avait pas fait exprès, venant d’elle, tout était possible !

Bien sûr, la discussion tourna autour des deux femmes que nous aimions tous les deux. Je lui jurais que j’aimais Daphné et que jamais je ne lui ferais du mal. Après tout, j’avais grandi avec l’exemple d’un homme qui avait plus d’une fois levé la main sur ma mère. Plus d’une fois, je l’avais vu pleurer à cause de ce connard. Je n’avais jamais pu comprendre comment ce type arrivait à se regarder dans une glace. Un homme, un vrai, n’a pas besoin de frapper une femme… Il devait savoir que ma mère était bien plus forte que lui, pas physiquement mais psychologiquement. Il avait tenté de la briser sans succès. Ma mère était devenue bien plus forte. Elle était mon héroïne, ma Wonder Woman ! Elle m’avait élevé dans le respect des femmes. D’ailleurs, si elle apprenait touuuut ce qui s’était passé avant que ma relation avec Daphné débute… Quelque chose me dit qu’elle m’aurait tué… Et Rick également ! Mais à présent, j’en étais dingue ! Je ne me voyais pas vivre sans Daphné, c’était juste impossible !

Et puis, j’en vins à parler du passé douloureux de ma mère. À l’époque, j’étais un gosse, je ne pouvais pas la défendre. Mais aujourd’hui, les choses étaient différentes. Je pouvais la protéger… pourtant, je gardais une certaine culpabilité pour ne pas avoir pu le faire avant. Mon cerveau avait conscience qu’à l’époque, je ne pouvais rien faire. Mais mon coeur, lui, était persuadé que je n’avais pas fait le maximum. À la mention de son ex, mon regard se perdit dans les souvenirs remplis de haine et de souffrance que j’avais de cette période. Mais Rick me ramena à la réalité, sa main sur mon épaule et sa voix m’apaisèrent. Je hochais la tête à ses paroles. J’écoutais alors Rick, silencieux mais avec admiration face à tant de compréhension. En fait, je ne pensais pas trouver du soutien auprès du petit ami de ma mère. Je me sentais rassuré de constater que ma mère avait trouvé un homme capable de la soutenir… Rick semblait réellement soucieux de son bien-être. Et mon instinct me disait que je pouvais lui faire confiance. Rick serait un véritable partenaire pour ma mère. D’une voix légèrement tremblante, le petit garçon en moi était ému, je lui dis :

« Je… Merci, vraiment. Ça compte beaucoup pour moi d’entendre ça. Et je suis sincèrement désolé pour votre femme… Daphné n’en parle pas beaucoup mais je suis content de pouvoir être là pour elle, de lui apporter un peu de réconfort. Si je pouvais prendre toute la peine qu’elle ressentir, je le ferais sans hésiter… Mais je mentirais si je disais qu’elle ne m’apportait rien.»

Un sourire timide se dessina sur mon visage avant que je ne poursuive.

« Elle me rend meilleur, c’est cliché, je le sais. Mais c’est le cas. Elle arrive à me faire rire même quand je ne suis pas forcément d’humeur. Je suis du genre impulsif, je ne réfléchis pas toujours, mais Daphné arrive toujours à me calmer. Elle m’apporte tellement… »

Je fis une pause, cherchant mes mots. J’étais conscient de l’importance de cette conversation. Je me redressais légèrement, retrouvant ma confiance habituelle. Je savais aussi que j’allais sûrement avoir l’air plus mature que mon âge, mais ce que j’avais vécu m’avait fait grandir plus vite sur certains points. Je savais que ma mère s’en voulait mais moi, je la remerciais car elle avait fait de moi l’homme que j’étais.

« Concernant ma mère, je veux juste la savoir heureuse. Elle a eut sa part de douleur et je ne veux plus la voir souffrir… Je vous fais confiance. Pour deux raisons : si ma mère pense que vous êtes quelqu’un de bien, je la crois. Et la deuxième raison, c’est Daphné. Votre fille est tellement incroyable et vu comment elle parle de vous, je lui fais également confiance. »

J’eus un sourire timide. À présent, je me sentais plus léger mais je sentis aussi qu’un petit espoir de gosse s’était réveillé. Je n’avais jamais connu de figure paternelle. Mon père avait quitté ma mère quand il avait apprit qu’elle était enceinte de moi. Et ensuite, il y avait eu Scott ! Mais à présent face à Rick, je me posais tout un tas de questions… Est-ce qu’il pourrait être cette figure dont j’avais manqué toute ma vie ? Ma mère était incroyable, hein, mais parfois, j’avais besoin d’un homme. Attention, je n’allais pas l’appeler « Papa » dans la minute ! Simplement, parfois, j’avais besoin de conseils venant de la part d’un homme, et pas de mes idiots de potes ! Le football américain rend parfois un peu bête…

J’ai honte. Je suis mortifiée par la réaction que mon corps adopte face à cette soudaine découverte. Je pensais qu’à l’âge de vingt ans, j’aurais été capable de gérer certaines situations, mais il faut croire que les chocs émotionnels ont tendance à me laisser KO. Je suppose qu’avoir une soudaine envie de vomir, c’est un moindre mal lorsqu’on compare à d’autres personnes qui s’évanouissent de stupeur. Je sais que c’est le surplus d’émotions qui fait ça et quand le cerveau n’est pas capable de traiter autant d’informations en même temps, il a tendance, soit à se mettre en veille, soit à créer une réaction en chaîne. La mienne de réaction, c’est de manquer de vomir. Maintenant que j’ai la tête dans la cuvette des toilettes, je constate que rien ne sort. Et c’est tant mieux. Je déteste vomir, si je peux l’éviter. J’accuse le contre coup, je laisse à mon cerveau le temps de gérer toutes les informations. J’attends qu’il ait terminé de s’amuser avec mon corps. Je me concentre sur ce qui me fait du bien en ce moment, et c’est la présence de la mère de Jake qui fait office. Ses doigts dans mes cheveux font remonter des souvenirs de l’époque où maman était encore là. Elle avait toujours un ton rassurant, un peu comme Bobbi en ce moment-même.

J’attends que les battements de mon cœur se calment un peu et que les reflux de nausées cessent pour m’excuser. Je me sens hyper mal à l’aise d’avoir créé une situation aussi embarrassante, et je m’attends à ce que Bobbi ne soit absolument pas enchantée que notre rencontre se passe comme ça. Si j’en crois papa, c’était un moment important pour eux. Enfin, surtout pour lui étant donné l’état de nervosité dans lequel il arpentait le salon. Et tout semble subitement gâché. Je découvre en même temps que tout le monde que la mère de mon petit ami sort avec mon père. Il y a de quoi se demander dans quel mauvais téléfilm nous avons sombré… parce que honnêtement, on ne voit ça qu’à la télévision, non ? Ça ne peut pas arriver en vrai… Si, la preuve que si… Le visage de Bobbi n’arbore aucune trace de colère ou de contrariété. C’est même tout le contraire. Elle m’offre une expression douce et compatissante. Elle me rassure à la manière d’une maman. Alors même si ce n’est pas la mienne, je me rends compte à quel point la douceur maternelle me manque et à quel point ça fait du bien d’en être l’objet, même si ce ne sera jamais la même chose.

— J’aurais aimé pouvoir prendre un peu plus sur moi.

Avoir une réaction d’adulte, quelque part. Je suppose qu’enfin de compte, je ne suis pas forcément mieux que Jake qui a préféré réagir par la colère. On gère chacun différemment nos émotions. Il a toujours été plus caractérielle que moi là-dessus. J’ai tendance à réfléchir avant d’agir, alors que Jake est plutôt tête brûlée et à foncer quitte à se manger en pleine face un mur de béton. Mais je ne peux pas nier que j’aurais préféré qu’il me prenne dans ses bras. Peut-être que nous ne serions pas enfermées dans la salle de bain, sa mère et moi. Alors que Bobbi repousse une mèche de cheveux de mon visage, je me sens rougir sous le compliment.

— Dire qu’au début, je n’étais pas assez blonde pour susciter ses attentions… dis-je avec une petite pointe d’humour.

Je m’assois sur le carrelage et laisse mon dos prendre appui contre le mur. Je reste à proximité de la cuvette des toilettes, parce que je me sens encore un peu barbouillée, mais discuter avec Bobbi me fait beaucoup de bien. J’espère récupérer un peu de couleur, parce que ressembler à un cachet d’aspirine c’est loin d’être à mon avantage. J’observe la mère de Jake et je constate qu’ils ont les mêmes cheveux bruns et les mêmes yeux sombres.

— Je comprends pourquoi mon père a craqué pour vous : vous êtes tellement belle, et si gentille.

Ma tête bascule légèrement en arrière jusqu’à rencontrer le mur sur lequel je suis adossée. Jake m’a si souvent parlé d’elle que j’aurais pu essayer de me créer une image d’elle, mais mon imagination aurait été à mille lieux de la réalité. Je sais à quel point il est attaché à elle. Tout comme moi aujourd’hui avec mon père, il n’a qu’elle au monde. Je le comprends quand il m’affirme qu’il veut tout faire pour qu’elle soit fière de lui. Avec une maman comme Bobbi, on n’a sûrement qu’une seule envie : être parfait et tout faire bien. Elle possède une si belle philosophie de vie, et un cheminement de pensée qui me pousse à l’admiration. Elle m’a peut-être avoué être sous le choc, mais je trouve qu’elle gère tout cela extrêmement bien.

— Ça ne vous dérange pas, alors ? je demande lorsqu’elle me propose de procéder étape par étape. Je veux dire… Ça ne va pas être bizarre que vous sortiez avec mon père, et moi avec Jake ?

Même si nous ne partageons aucun lien de sang, est-ce que le schéma familial ne va pas être trop bizarre ? Ou peut-être qu’il est trop tôt pour parler de famille puisque personne n’est marié, et que l’histoire entre Bobbi et mon père est bien plus récente que la mienne avec Jake. Je ne sais pas du tout ce que papa va penser de tout ça. Il peut-être déjà en train de dire à Jake qu’il n’a plus intérêt à m’approcher… Et connaissant Jake, il va s’énerver et l’envoyer promener… Et si le ton monte ? Je n’ai pas l’impression que les deux hommes soient en train de s’entretuer quelque part dans cette maison, mais on ne peut jamais réellement savoir.

Bobbi continue de caresser les longs cheveux bruns de Daphné. Elle comprend à quel point la situation peut être perturbante pour la jeune femme. Découvrir que son père sort avec la mère de son petit ami, ça n’arrive pas tous les jours. Bobbi aussi est stupéfaite. Mais son rôle de mère lui apprit que parfois, elle ne doit pas montrer sa peur ou son inquiétude. Elle doit y faire face pour éviter que ce ne soit la panique. Mais ça ne veut pas dire qu’elle ne ressent rien. Elle se retrouve dans une situation compliquée. La mère célibataire est vraiment attachée à Rick, c’est la première fois qu’elle se sent aussi bien dans une relation. Dans les bras de Rick, elle se sent protégée et aimée. Mais elle sait aussi que son fils est très amoureux de Daphné. Comment gérer un truc pareil ? Elle n’en sait rien. Malheureusement, il n’existe pas de manuel pour gérer ce genre de relations. Tout ce qu’elle peut faire, c’est y aller étape par étape. Et la première est de rassurer la pauvre Daphné qui semble au bord de l’évanouissement. Raison pour laquelle, elle éloigne Daphné de son père et de Jake. Ils sont si paniqués que l’un ne sait plus quoi faire et l’autre préfère s’énerver. Les hommes…

« Eh, l’interpelle-t-elle avec douceur, ce qui est fait est fait. Tu ne peux pas changer ça. Et personne ne t’en voudra pour avoir réagi comme ça. Regarde Jake, lui, il a réagi avec colère. Il a eu peur et la peur… Il ne sait pas gérer… »

Bobbi sait que son fils n’est pas violent, il ne s’en prendra jamais à une femme. Mais quand il perd le contrôle, il ne sait pas réagir autrement qu’en bougonnant et en maudissant le monde. Il n’aime pas avoir toutes les cartes en main. Ça lui rappelle sûrement quand il n’était qu’un petit garçon qui voyait sa mère se faire cogner par un homme plus grand et plus fort que lui. Quand elle complimente Daphné, cette dernière lui apprend que son fils ne s’intéressait pas à elle, au début, à cause de la couleur de ses cheveux. Bobbi lève ses yeux marrons au ciel, un air exaspéré sur le visage.

« Jake peut parfois se comporter comme un parfait crétin certains jours. Tu l’as déjà vu devant une assiette de légumes ? » Elle rit car son fils se dit être allergique aux aliments de couleur verte. « Mais en réalité, c’est un amour. Simplement, avec ma précédente relation, il n’a pas eu une vie facile. Il a du mal à gérer ses émotions. Et je pense que dans le fond, il devait être attiré par toi depuis le début mais il ne voulait pas se l’avouer. Et comme il est aussi têtu qu’une bourrique… »

La jolie brune soupire. Son fils peut vraiment avoir un comportement d’abruti. Pourtant, c’était un jeune homme attachant, sincère et intelligent. Le genre d’homme qui protège les gens qu’il aime envers et contre tous. Il sait rendre le sourire à une personne triste. Il peut paraître froid et hautain au premier abord, mais c’est sa façon de se protéger. Quand c’est au tout de Daphné de complimenter la mère de Jackson, elle rougit et lui offre un doux sourire.

« Merci, t’es adorable. Mais attends de voir ce que je réserve à Jackson avant de dire que je suis gentille, il va se prendre un savon ! »

En réalité, Bobbi n’est pas méchante. Loin de là, bien sûr, elle n’hésitera pas à remonter les bretelles de son fils pour avoir abandonné sa copine pour aller bouder dans la cuisine. Mais elle ne se montrera pas injuste ou cruelle avec lui. Elle ne pourrait pas faire du mal à son propre fils, elle l’aime beaucoup trop. Mais quand elle estime qu’il a besoin d’une leçon, elle ne recule pas devant la tâche.
Quand Daphné lui demande ce qu’elle pense de la situation, si ce n’est pas étrange, Bobbi ne répond pas immédiatement. Bien sûr que la situation est un peu bizarre mais ce n’est pas si étrange que ça. Une fois qu’elle trouve ses mots, elle lui répond :

« C’est vrai que la situation n’est pas commune. Mais ce n’est pas la mort. Ce n’est pas comme si Jackson et toi étiez frères et sœurs de sang. Alors, nos réunions de famille seront… étranges, mais pas insurmontables. »

Bobbi s’assoit alors par terre, près de Daphné. Elle prend son temps car la mère de Jake va se mettre à nu, elle va lui parler de son passé, chose qu’elle ne fait que rarement.

« Je suis née dans une bonne famille. Mes parents ont de l’argent, sans pour autant être riche. Plus jeune, je suis tombée amoureuse d’un garçon, un mauvais garçon. Quand je suis tombée enceinte, il a disparu, il n’a jamais cherché à rencontrer Jackson. Mes parents n’étaient pas d’accord pour que je garde Jake. Donc, ils m’ont foutu à la porte. Je me suis retrouvée sans argent, sans toit et avec un bébé en bas âge. Je me suis débrouillée pour trouver un emploi de serveuse. C’est comme ça que j’ai rencontré mon ex. Il était tellement gentil au début, et puis il a commencé à me frapper. Au début, c’était une claque puis deux. Une bousculade. Et à la fin, je me faisais vraiment tabasser. Et un jour, j’ai attrapé Jake, quelques affaires et je me suis enfuis. Je suis d’abord allée à l’hôpital, j’avais le bras cassé. Et ensuite, j’ai passé des années à fuir. Avec Jake, nous ne restions jamais très longtemps dans un lieu, j’avais peur que Scott nous retrouve… » Elle prend alors une pause avant de reprendre. « Une relation bizarre, c’est ça en réalité. Un homme qui fuit ses responsabilités sans hésitation ou un autre qui lève la main sur toi. Ce que nous vivons… ce n’est rien, crois-moi… »

Bobbi lève les yeux et sourit à Daphné. Ses expériences désastreuses l’ont rendu plus forte et lui ont montré ce qu’elle ne voulait plus vivre dans une relation amoureuse. Que son fils fréquente la fille de son petit ami n’était pas grand-chose, si l’on regarde son passé…

A présent que les deux femmes sont enfermées dans la salle de bain, il ne reste plus que Rick et Jackson. Tous les deux plantés comme deux quiches au beau milieu du salon parce qu’ils sont tout simplement incapables de gérer l’état préoccupant de Daphné, ils n’ont pas d’autre choix que de se faire face. Si on lui avait dit que cette première rencontre s’avérerait être aussi haute en couleur, Rick n’en aurait rien cru. Il était tellement stressé à l’idée de venir qu’il n’aurait jamais pensé que sa fille et le fils de Bobbi puissent être ensemble. Cependant, maintenant que la vérité a éclaté, beaucoup de choses font soudainement sens : comme le fait qu’ils étaient bizarrement tous les deux absents en même temps. Il faut croire que l'invraisemblable n’est pas toujours ce qu’il paraît. Pourtant, Jackson ne se laisse absolument pas démonter par la situation et tente de faire amende honorable vis-à-vis de lui, mais Rick n’a absolument pas besoin qu’il défende sa cause pour avoir une bonne opinion sur lui. Bobbi a déjà vendu son fils de toutes les manières possibles pour le présenter comme un bon gamin, et Daphné a suffisamment les yeux qui brillent lorsqu’elle en parle pour que Rick soit déjà convaincu. Pourtant, il ne l’interrompt pas, le laissant s’exprimer librement. Il n’est pas là pour prendre la place de Jake, ni même pour lui voler sa mère. Alors, lorsque le jeune homme a terminé d’exprimer ses insécurités, Rick se confie à son tour. Il n’ignore rien du passé chaotique des DeLaurence, Bobbi a eu l’occasion de se confier à quelques reprises expliquant ainsi ses réserves et sa difficulté à faire confiance. Quant à sa fille, il n’est pas idiot. Après le décès de sa mère, Daphné s’est renfermée sur elle-même, et elle a eu du mal à redevenir celle qu’elle était auparavant. Depuis qu’elle fréquente ce garçon, elle va mieux. Ses sourires sont devenus bien plus sincères, l’éclat dans ses yeux bleus a repris vie… C’est à Jackson qu’elle le doit et pour cela, Rick le remercie. Ces remerciements semblent surprendre le jeune homme, et c’est encore une preuve que lui et sa mère n’ont réellement pas eu de bons rapports avec la gente masculine.

— Daphné t’en parlera le moment venu. Il y a eu des moments où elle a mis sa propre peine de côté pour essayer de faire en sorte que j’aille bien. Elle est comme ça, elle est beaucoup trop altruiste pour penser à elle en premier. Mais ça viendra.

Daphné a toujours été un petit rayon de soleil. Même quand elle va mal, elle essaie de faire en sorte que les autres aillent bien.

— Et je suis sûr que tu lui apportes aussi beaucoup de choses.

Parfois, Rick aurait aimé que Daphné soit un peu plus égoïste et pense davantage à elle-même plutôt qu’aux autres. Mais il sait aussi qu’on ne peut pas faire grand chose contre sa propre nature. Les inquiétudes de Jackson quant à sa mère ainsi que son bonheur sont légitimes. Et quelque part, savoir qu’il lui fait confiance apaise quelque peu les craintes de Rick sur cette rencontre. Beaucoup de décisions quant à l’avenir dépendent de leurs enfants. Sur ce point-là, Bobbi et Rick ont un point de vue assez similaire. Si Daphné émettait quelques objections, cela impacterait fortement la relation qu’il est en train d’essayer de construire. Et il est conscient qu’il serait de même pour Bobbi si son fils se montrait hostile. Daphné n’a pas encore eu trop l’occasion de s’exprimer étant donné l’état préoccupant dans lequel elle est entrée, mais savoir que Jackson lui donne son feu vert pour côtoyer sa mère, c’est déjà un pas en avant, malgré l’étrangeté de la situation.

— Je dois bien avouer que j’ai bien envie d’essayer de construire quelque chose avec Bobbi, mais je ne suis pas voyant, et je ne peux pas prédire l’avenir, dit-il en enfonçant les mains dans les poches de son pantalon. Mais je peux te faire la promesse que si ça ne doit pas fonctionner entre nous, hormis un chagrin, je ne lui ferai jamais de mal sciemment.

Il est impossible de savoir si dans dix ans, Bobbi et Rick seront toujours ensemble. Il a envie de croire que ce sera le cas, mais l’avenir est incertain, et il l’a appris de la plus terrible des manières lorsque Manon est décédée et qu’il s’imaginait vieillir avec elle à ses côtés ; alors non, il ne peut pas promettre que Bobbi ne pleurera peut-être pas s’ils doivent se séparer parce que ça ne fonctionne pas entre eux, mais jamais il ne s’en prendra à elle comme son ex l’a fait auparavant. Cette rationalité est parfois difficile à conserver, surtout quand on est amoureux et que les sentiments contrôlent la manière de penser, mais les épreuves de la vie influent aussi sur la philosophie de vie. Et Bobbi est sans aucun doute tout aussi consciente que lui que même si elle prend le risque de lui ouvrir son coeur, il y existe la possibilité que ce ne soit pas du pour toujours et à jamais. C’est pour cette raison que Rick ne va certainement pas servir du “si tu fais pleurer ma fille, je te tue” à Jackson.

— Par contre, je n’aurais jamais pensé une seule seconde que les événements prennent cette tournure, dit-il en faisant référence à l’étrange découverte qu'entraîne cette soirée. Je connais Daphné, elle doit sûrement être en train de flipper et s’imaginer le pire.

Il faut bien avouer aussi que le scénario est digne d’un film de cinéma ou d’une série télévisée. Ce n’est pas du tout le genre de chose qu’on s’imagine arriver dans la vraie vie.

Je dois avouer que ma mère a bien manigancé son coup. Je ne sais pas si elle avait prévu depuis le début que je me retrouve seul avec son petit ami. Peut-être que l’idée a germé durant les quelques minutes où Rick et moi paniquions en voyant Daphné pâle et prête à vomir. Dans tous les cas, elle est vraiment maligne ma mère ! Je suis obligée de me retrouver seul à seul avec son petit ami, qui est accessoirement le père de ma petite amie. Je ne suis pas un mauvais bougre, elle se doute bien que je vais faire la conversation à Rick. Que les circonstances soient étranges ou non, je ne vais pas l’ignorer et bouder dans mon coin. Ma mère et Daphné ne me le pardonneraient jamais et m’en voudraient à mort. Et puis, ce n’est pas dans mon caractère de fuir. Alors, nous entamons une conversation. Mais je ne sais pas quelle tournure elle va prendre. Après tout, il pourrait très bien me juger indigne de sa fille. Ou je pourrais m’apercevoir qu’en réalité, c’est un type exécrable qui pourrait faire souffrir ma mère. Eh bien au fur et à mesure que la conversation avance… je suis surpris. Non seulement je ressens tout l’amour d’un père pour sa fille, mais je ressens aussi celui qu’il éprouve pour ma mère. Comment je peux le savoir ? La réponse est simple, je suis amoureux de Daphné. Alors même si je ne sautille pas comme une gamine de 13 ans devant son boys band préféré, les sentiments que j’ai pour Daphné sont bien présents. C’est eux qui me font sourire chaque fois que je parle de ma petite amie. Même si le sujet fini par devenir un peu triste. Je suis au courant que la mère de Daphné n’est plus de ce monde. Je n’ose pas imaginer la douleur qu’elle peut ressentir face à ce manque. Ma mère est toute ma vie, je n’ai qu’elle depuis ma naissance. Si elle venait à mourir… je ne sais pas si je pourrais encore sortir de mon lit et continuer d’avancer. Je n’ai jamais abordé le sujet avec Daphné et ce que me dit Rick me conforte que j’ai bien fait. Quand Daphné se sentira prête à partager ses sentiments à ce sujet, je serais présent pour l’écouter. N’ayant rien de mieux à ajouter, je hoche la tête, un sourire timide sur les lèvres.

La conversation dévie sur la relation qu’il entretient avec ma mère. Je ne sais pas encore ce que je dois en penser, même si je dois avouer que Rick me fait une très bonne impression. Il n’a pas essayé de m’impressionner ou de m’effrayer. Je le trouve authentique et sincère. Il n’y a qu’à regarder comment il s’est inquiété pour Daphné. Je peux le dire en tout connaissance de cause, il existe des pères qui ne s’inquiètent pas pour les enfants qu’ils ont. Mon géniteur n’a jamais essayé de me contacter ou de me connaître. Pas une fois en vingt-deux ans de vie, il n’a été présent. En fait, quand il a su que ma mère était enceinte de moi, mon géniteur a simplement mis les voiles, abandonnant ma mère et le bébé à naître que j’étais. Est-ce que je m’en plains ? Pas du tout. Ma mère a été formidable, elle a fait de son mieux pour m’élever seule. Alors quand je vois Rick s’inquiéter pour sa fille, je me dis que c’est un véritable père. Daphné a beau ne plus être une enfant, il ne cesse de veiller sur elle. Et au fond, je me sens un peu jaloux car j’aurais aimé avoir un père aussi aimant et présent pour moi, comme ma mère l’a été. Et comme Rick l’est avec Daphné.

« Un chagrin, ma mère saura y survivre… mais j’espère que vous n’en arriverait pas là. Maman mérite d’être heureuse. Pour une fois, je voudrais la voir heureuse avec un homme. »

Je n’ai jamais vu ma mère heureuse avec un homme. En fait, je ne l’ai connu qu’avec Scott et avec ce type, elle ne faisait que survivre. Et pour un enfant, c’est vraiment difficile de voir sa mère lutter aussi durement. Avec l’âge, j’ai aussi compris qu’elle avait fini par prendre des coups qui m’étaient sûrement destiné. À présent, je veux voir ma mère souriant avec un homme. Je veux qu’elle goûte au bonheur d’être amoureuse, d’être dans une relation saine et épanouissante. Rick a raison, nous ne savons pas de quoi est fait demain. À mes yeux, tant que le respect règne entre eux, je n’aurais pas d’envie de meurtre. Même s’ils venaient à se séparer.

« Sûrement, mais elle est entre de bonnes mains. Ma mère est LA personne idéale pour remonter le moral et rassurer quelqu’un qui doute ! » lui dis-je avec le sourire avant de continuer « en revanche, je crois que je vais passer un sale quart d’heure… je me suis comporté comme un abruti… »

Je me passe la main dans mes cheveux courts. Ma mère a eu le temps de me faire comprendre que ma réaction avait été puérile et que j’aurais dû être là pour Daphné. Après tout, elle était aussi déboussolée que moi. Impulsif, je m’étais emporté avant de me reprendre. Je n’avais pas eu le temps de m’excuser qu’elle avait fini dans la salle de bains avec ma mère. Mais je ne suis pas bête, je sais que je vais le payer plus tard. Je sais que je suis dans la mouise jusqu’au cou.

« À ton avis, je vais être mangé à quelle sauce ? »

Je fais une tête qui en dit long sur l’anticipation qui m’habite. Daphné a beau m’arriver au torse et faire la moitié de mon poids, il n’en reste pas moins qu’elle peut être effrayante ! J’ai vécu avec un petit bout de femme qui m’a appris que la taille ne voulait absolument rien dire ! Et Daphné me l’a confirmé. J’ai un souvenir qui me revient en tête. À l’époque, j’avais fricoté avec une amie à elle et… elle se croyait enceinte de moi. Mon père m’ayant abandonné avant même que je ne sois né, je ne comptais pas commettre la même erreur. J’étais prêt à assumer mes responsabilités mais heureusement, c’était une fausse alerte. Mais avant ça, les commères s’étaient emparées de l’affaire pour annoncer à tous les new-yorkais mon potentiel futur rôle de père. Ma petite amie étant très protectrice avait osé faire un geste qu’absolument personne n’aurait fait à l’université… elle m’avait giflé à la vue de tous. Et pas une petite gifle, non ! La gifle qui résonne et qui réduit au silence une foule médusée qui attend la suite. Malgré ma démonstration de force, j’avais attrapé les poignets de Daphné pour l’empêcher de me frapper de nouveau, ma jolie brune ne s’était pas laissé démonter. Je passais mon temps à la provoquer sans que jamais elle ne réponde mais quand il s’agissait de défendre son amie, Daphné n’avait pas hésité. Ma joue s’en souvient, elle est encore chaude !! Alors oui, je sais que Daphné n’est pas non plus une petite chose fragile incapable de se défendre. Surtout que jamais il ne me viendrait à l’esprit de lever la main sur elle… En plus du fait que face à elle, je suis démuni. Daphné me mène par le bout du nez et je la suivrais jusqu’au bout du monde avec le sourire si elle me le demandait !

» Non, c'est non [Pv Jake]
» You are what I want [Jake]
» Des papillons dans le ventre (Daphné)
» Rêve ta vie en couleur, c'est le secret du bonheur ▬ Daphné
» I'm not a damsel in distress [pv Jake]