Grande nouvelle et grand changement [pv Kasey]

C’était le sourire aux lèvres qu’Annabelle se dirigeait vers cette fameuse salle de concert où Kasey avait ce soir une représentation. N’ayant pas de téléphone portable, faute de moyen, c’était la seule façon qu’elle avait de le trouver. Elle devait lui annoncer la bonne nouvelle. Vêtue d’un jean, d’un pull et d’un sweet à capuche qu’elle avait fermé jusqu’en haut pour ne pas attraper froid, Annabelle attendait son seul et unique ami dans cette ville à la sortie des artistes. Il y avait déjà une foule immense, signe que le concert était déjà fini et que les fans attendaient leur chanteur pour une photo, un autographe, une poignée de main… Bref, tout ce qu’un artiste pouvait offrir aux personnes qui aimaient son monde. Mais Anna ne faisait pas partie de ces gens-là. Elle était à part. Elle avait pu entendre quelques fois certaines morceaux de Kasey, mais pas au point d’être une grande connaisseuse. Alors face à toute cette foule, la demoiselle resta en retrait, les mains enfoncées dans ses poches. Tout ce qu’elle espérait, c’était qu’il la verrait parmi tout ce monde. Elle ne se voyait pas agir comme une groupie à essayer de pousser les autres pour attirer l’attention. Ce n’était pas du tout son genre.

Elle avait une bonne nouvelle à lui annoncer et elle ne pouvait plus attendre. Il serait si content pour elle. Déjà, de la voir habillée normalement, ça lui ferait sans aucun doute un choc, mais elle était prête à tout lui expliquer, à lui dire que sa vie avait pris un énorme tournant et qu’elle n’était plus obligée de faire le trottoir pour pouvoir vivre. Anna travaillait désormais pour la baronne et elle lui offrait beaucoup plus de sécurité que ce qu’elle avait pu avoir pendant ces nombreux mois à attendre dans la nuit noire avec pour seule lumière un unique lampadaire qu’un client vienne à elle. Et puis, on lui offrait aussi un logement. Anna ne serait plus seule. D’ailleurs, elle avait rendu les clés de son insalubre logement – la baronne l’ayant assistée à chacune de ses démarches. Elle n’aurait jamais cru que rompre un contrat de location serait aussi facile en fin de compte. Elle avait récupéré ses maigres affaires et s’était installée dans une chambre deux fois plus grande que l’espace qu’elle avait pu occuper jusqu’à présent.

Adossée à un lampadaire, sans devoir faire attention à sa posture, Annabelle releva la tête quand elle entendit la foule devenir de plus en plus excitée. Il y avait de l’agitation devant elle aussi comprit-elle que Kasey était entrain de sortir. D’ailleurs une voix s’éleva pour demander aux gens de reculer un peu. Surement des vigiles ou des gardes du corps. Annabelle ne savait pas trop ce qu’il en était. Mais elle ne bougea pas de sa place, essayant de voir si son ami était effectivement présent.

J’étais ma loge, les jambes courbaturées mais satisfait. J’avais passé deux heures et demie, si ce n’était pas plus, sur scène. C’était ma dernière date à New-York avant que je ne décolle pour d’autres villes, pour d’autres dates de concerts. Mais cette nuit, j’allais pouvoir me reposer un peu. Enfin, d’abord, je devais sortir et passer la foule qui m’attendait dehors. Contrairement à ce que l’on pensait, être une célébrité n’était pas aussi simple ou reposant. D’abord, j’avais des entraînements de chant et de danse intenses. Entre les sessions en studio pour enregistrer mon futur album, les clips à tourner, les interviews a donner, les concerts à préparer et les fans parfois dérangés à gérer… Je m’estimais heureux de ne pas avoir replongé dans la cocaïne !
Après avoir pris une douche rapide et m’être rhabillé, un ensemble de jogging faisait amplement l’affaire, je sortis de ma loge en mettant une casquette sur ma tête. Non pas que je tentais de passer inaperçu, impossible, mais je voulais tenter de masquer mes traits fatigués. J’avais beau adorer mon métier, j’en ressentais tout de même la fatigue. Je baillais tout en marchant le long du couloir. Je saluais mes collègues, amis et collaborateurs. Ils devaient être tout autant fatigués que moi, si ce n’était plus. Et certains n’avaient pas fini de travailler. La salle devait être vidée, nettoyée pour le prochain événement.

Devant la porte, deux gardes du corps, Pop et Trey, vinrent à mes côtés. Je n’avais jamais pensé avoir besoin d’eux mais mon agent m’avait certifié qu’il me fallait des gardes du corps… On ne savait pas qui pouvait vouloir s’en prendre à moi. A peine la porte fut ouverte par Pop, que je fus assailli par les cris de mes fans m’attendant. Je leur fis de grands signes avant de prendre le temps de leur signer des autographes, de prendre des photos avec d’autres etc. Ces moments, je les adorais. Je ne voulais pas être une de ces célébrités dénigrant ses fans. Après tout, j’en étais là grâce à eux, ils m’avaient soutenu et aimé depuis le début. Les ignorer serait de l’ingratitude total ! Une fois que j’eus satisfait un maximum de personnes, je décidais qu’il était grand temps pour moi de rentrer me reposer. Je saluais toutes ces personnes restées pour moi avant de me tourner vers le 4x4 qui m’attendait.
Alors que j’allais monter, je tournais la tête et vis une jolie brune contre un poteau. Je m’arrêtais en plissant les yeux. Sa tête quelque chose et soudain, je la reconnus. Je fis un signe à Trey et Pop puis me dirigeais vers la jeune femme que j’avais reconnu, Annabelle.
Annabelle était une prostituée que j’avais rencontré dans la rue… Allez savoir pourquoi, je m’étais attachée à elle, j’essayais de la protéger des autres mais aussi d’elle-même. Je faisais tout ce que je pouvais pour qu’elle arrête son métier de prostituée pour quelque chose de plus, disons, respectable mais comme je n’étais entouré que de femmes têtues qui n’en faisaient qu’à leur tête…

« Eh Annabelle, comment tu vas ? lui dis-je en la prenant dans mes bras. Tu sais que je ne t’ai pas reconnu tout de suite avec tes vêtements ! »

Je la taquinais mais il fallait dire qu’habituellement, je la voyais dans la rue, à chercher des clients. Elle était donc très peu vêtue.

Annabelle attendait patiemment que Kasey ait terminé son concert pour le voir. De toute manière, elle n’avait pas d’autre moyen de le contacter que de le trouver elle-même, et il n’y avait pas trente-six endroits pour ça. Tous ses fans, presque hystériques, s’agglutinaient déjà pour des autographes ou des selfies. La jeune femme crut le voir, portant une casquette sur la tête, faisant son travail d’idole ; mais elle ne bougea pas de sa place. C’était inutile qu’elle essaie de s’approcher avec toute cette vague humaine qui essayait d’attirer son attention car elle n’arriverait jamais à jouer suffisamment des coudes pour arriver jusqu’à lui. Alors elle préférait attendre. Peut-être qu’il la remarquerait, sinon elle profiterait d’une ouverture pour l’interpeller. Mais il la vit bien avant qu’elle n’ait eu l’occasion de venir à lui. Se trouvant sous un lampadaire, elle s’avança un peu plus dans la lumière lorsqu’elle remarqua qu’il la fixait ; sans aucun doute pour être sur qu’il s’agissait bien d’elle et non de quelqu’un d’autre.

Elle osa s’approcher lorsqu’elle vit Kasey se diriger vers elle. Annabelle était consciente des murmures rageurs de certains fans qui la regardaient approcher sans que les deux gorilles qui accompagnaient le chanteur ne s’interposent, mais elle n’y fit pas une extrême attention. Surtout qu’avant d’avoir pu dire « ouf », il la serrait contre lui. La demoiselle lui rendit son étreinte, sans aucun doute avec beaucoup plus de chaleur que ce qu’elle avait pu faire jusqu’à présent. Il fallait bien avouer aussi que Kasey avait le chic pour toujours débarquer au mauvais moment. Combien de clients avait-il fait fuir alors qu’elle s’apprêtait à travaille ? Et même si à chaque fois qu’il l’avait empêché de bosser, il lui avait toujours proposé une compensation financière à la place ; et qu’elle s’était toujours évertuée de refuser. Annabelle n’aurait jamais pu accepter l’argent de Kasey, et ce parce qu’elle le considérait réellement comme son ami.

— Je vais bien et toi ? répondit-elle. Et oui, disons que je suis habillée un peu plus chaudement maintenant.

Annabelle se mordilla la lèvre inférieure, désireuse de tout lui dire d’un coup, mais ils ne pouvaient pas vraiment faire ça dans la rue alors que quelques fans se trouvaient encore là. Que penseraient-ils s’ils l’entendaient lui annoncer qu’elle ne faisait plus le trottoir ? Elle passa une main dans ses cheveux.

— Je sais que tu dois être fatigué après ton concert, mais j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer et je ne savais pas trop comment te joindre, ou te trouver en dehors de tes dates…

Avoir un téléphone portable n’était pas encore trop d’actualité. Elle n’en avait pas encore parlé à la baronne mais peut-être pourrait-elle évoquer le sujet lorsqu’elle aurait un peu plus d’argent de côté. La vie serait plus facile maintenant. Ses maigres économies ne partiraient plus toutes dans le paiement du loyer, dans la nourriture et dans la lingerie. Elle pourrait se reconstruire et se remettre sérieusement à la recherche de son père.

— Si tu veux, je te retrouve à un autre moment ? demanda-t-elle. Je ne voudrais pas te priver d’un repos bien mérité.

Kasey s’était toujours montré soucieux d’elle et de son bienêtre, et en retour, pour une fois, elle voulait lui offrir la même chose. Bien sûr, financièrement, elle ne pourrait jamais arriver à sa hauteur. Il gagnait probablement des dizaines de milliers par mois, ce qui n’était pas son cas à elle. Mais elle comprendrait aisément qu’il souhaite uniquement retrouver son lit et lui donner rendez-vous le lendemain ou le surlendemain pour discuter de ce qu’elle avait à lui dire.

Annabelle était un peu une petite sœur à mes yeux. Je pouvais pas expliquer pourquoi je m’étais autant attaché à elle. Peut-être parce que ce petit bout de femme était dotée d’un caractère bien trempé ! Il faut dire que j’avais le chic pour m’entourer de femmes qui refusaient de se laisser mener à la baguette.
Dans son cas, j’avais beau tout faire pour la sortir de la prostitution, Annabelle y restait. Elle campait bien trop sur ses positions pour que je puisse la bouger. Plus je la dérangeais dans son « travail », plus elle s’y plongeait. Elle refusait que je l’aide alors que j’en avais les moyens. Je ne lui demandais rien en échange… A part de sortir cette vie. Mais elle continuait de m’envoyer balader. Alors, nous avions trouvé un accord plus ou moins implicite. Quand je la voyais, je lui payais la nuit comme ça, elle la passait chez moi. Elle pouvait se reposer, dormir, manger à sa faim et tout ce qui lui passait par la tête. Et puis moi, ça me permettait d’avoir un œil sur elle et j’avais un peu de compagnie. Alors la voir ce soir, habillée, j’en étais heureux ! Déjà, ça voulait dire qu’elle ne faisait pas le trottoir ce soir !

« Moi, ça va super bien ! Un peu de fatigue mais c’est pour la bonne cause ! »

J’avais beaucoup de chance de faire un métier qui me passionnait. Et même s’il était prenant, j’aimais cette vie. Je savais qu’à travers ma musique, je pouvais toucher des jeunes qui, comme moi, étaient perdus et se posaient des questions sur eux, leur avenir. Alors si ma musique pouvait empêcher un jeune de se suicider ou de tomber dans la drogue, je n’allais pas m’en plaindre ! Bien sûr comme n’importe quel métier, il y avait des inconvénients mais je ne m’attardais pas dessus. Je ne regardais que la chance que j’avais d’être là.

Annabelle m’expliqua avoir une bonne nouvelle à me dire mais qu’elle ne savait pas comment me contacter en dehors de me suivre pendant mes concerts. Je souriais. Une bonne nouvelle, je me mis à espérer qu’elle m’annonce avoir pris sa retraite pour un métier qui ne l’obligerait pas à vendre son corps dans une ruelle sombre ! J’étais peut-être naïf mais comme on dit : « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir » !

Mais tout de suite après, la jolie brune me proposa de reporter cette annonce à un autre jour, Je fis non de la tête sans même la laisser finir sa phrase. Repos, blablabla, prochaine fois, blablabla. Voilà ce que j’entendais !

« Non, tu n’as qu’à venir avec moi. Tu me raconteras tout ça chez moi devant une bonne pizza et une bière ! Aller, on y va !»

Sans attendre, je me dirigeais vers le 4x4 où Pop et Trey m’attendaient. Je ne pouvais pas l’attraper et la balancer sur mon épaule comme il m’arrivait de faire quand elle tapinait. Mais si elle m’y forçait, je le ferais sans hésiter !

Trouver Kasey n’a pas été bien compliqué. L’aborder c’est une autre histoire car il est toujours bien entouré. Que ce soit par ses fans qui sont là pour le féliciter ou bien par ses gardes du corps qui essaient d’éviter tout débordement. De loin, Annabelle l’observe. Il est humain au possible, et c’est maintenant qu’elle ne fait plus le trottoir qu’elle se rend compte d’à quel point il a souhaité l’aider en venant la monopoliser pour la nuit. Depuis que sa route à croiser celle de la baronne, sa vie a changé. Elle est beaucoup plus saine ! Elle a rendu son appartement miteux pour un endroit que la baronne lui a offert. Son loyer est prélevé directement à la source, ainsi, elle n’a plus rien à payer hormis sa nourriture. Anna s’estime chanceuse et elle se doit d’annoncer la bonne nouvelle au seul ami qu’elle n’aura jamais. Cependant, elle ne sait pas du tout comment l’aborder. Les gardes du corps l’intimident suffisamment pour qu’elle ne s’approche pas. Et puis, une jeune femme camouflée dans son sweat à capuche, ça peut porter à confusion. Ce n’est que lorsque celui-ci lui porte de l’attention qu’elle ose s’approcher avant d’atterrir durement et fermement dans ses bras. Pour une fois, elle est heureuse de ce contact.

— Je suis sure que ton spectacle était génial, affirme-t-elle avec un sourire.

Elle n’a jamais eu l’occasion de le voir sur scène, ni même de voir son talent tout court. Elle se souvient l’avoir un jour entendu passer à la radio lors d’un passage rapide d’un de ses anciens clients. Mais la vie professionnelle de Kasey est un véritable mystère pour elle. Peut-être qu’un jour elle pourrait assister à un de ses concerts ? Si elle demandait à la baronne une soirée de libre ? Ou juste quelques heures le temps de le voir à l’œuvre et ensuite rentrer pour prendre son service ? La baronne comprendrait, Annabelle en est sûre ! Elle lui a déjà parlé de lui. Elle sait combien il est important. C’est une idée qu’elle grave dans tête tandis qu’elle lui explique avoir une excellente nouvelle à lui annoncer. Elle aurait pu faire ça par téléphone, mais n’en ayant pas et n’ayant pas non plus son numéro, c’est difficile de faire autrement que d’aller le trouver. Mais Annabelle ne veut pas non plus le priver de repos alors c’est tout naturellement qu’elle lui propose de reporter ce moment à un autre où il serait frais et disposé. Sauf que c’est mal connaître Kasey qui réfute l’idée et l’entraîne avec lui dans le 4x4 noir en lui proposant un repas composé d’une pizza et d’une bière.

— D’accord, ça me va ! Mais seulement si tu me laisses payer cette fois.

Elle n’est pas de service ce soir. Elle est libre de rentrer à l’heure qu’elle désire à partir du moment où elle est là pour le lendemain vingt heures. La baronne a été très claire là-dessus : aucun retard n’est toléré. Mais elle n’a pas à s’en faire : Anna est ponctuelle !

Sous le regard de certains fans, elle monte dans l’immense 4x4. Que va dire ce public face à cela ? Sera-t-elle le lendemain dans les journaux avec comme gros titre : Une jeune inconnue est repérée par le célèbre Kasey et monte dans sa voiture ? Elle s’installe sur la banquette de cuir et attache sa ceinture de sécurité tandis que les deux malabars montent à l’avant du véhicule.

J’étais vraiment content de voir Annabelle. Je l’avais toujours considéré comme une petite sœur parce que comme ma sœur biologique, elle avait un caractère bien trempé. Mais je sentais une certaine fragilité chez elle, je n’arrivais pas à expliquer d’où me venait cette idée mais elle était là, bien ancrée alors j’essayais de l’aider comme je voulais… et parfois, malgré elle. Ce soir cependant, Annabelle n’avait pas l’air d’avoir besoin de moi. Elle était habillée normalement et avait une nouvelle à m’annoncer. Sans attendre, je lui avais proposé de venir à la maison pour manger un morceau devant une bière. Comme ça, on aurait un peu d’intimité et elle n’aurait pas l’impression de me déranger puisque je serais devant une pizza et une bière.

« Que je te laisse payer, dis-moi, qu’est-ce qui se passe ? » dis-je en souriant.

Je la laissais monter dans le 4x4 avant de la suivre et referma la portière derrière moi. Pop et Trey s’installèrent devant avant de démarrer la voiture. Je ne m’inquiétais pas que l’on parle d’Anna. Elle avait le visage bien caché et mes deux gardes du corps avaient tenu les éventuels curieux à l’écart.
Dans la voiture, nous bavardions de tout et de rien en attendant d’arriver chez moi. Je voulais vraiment attendre que l’on soit à l’abri des oreilles indiscrètes pour qu’elle puisse me raconter ce qu’était cette bonne nouvelle. Dans le parking, j’ouvris la portière et aidais Anna à descendre de la voiture. Je l’entraînais jusqu’à mon appartement. Une fois, rentrés, je poussais un long soupir.

« Home sweet home ! Bon, je n’ai pas besoin de te dire de faire comme chez toi ! »

Je lui fis un sourire avant de retirer mes baskets en chantant. Une habitude que j’avais prise depuis quelque temps. Il entrait dans la cuisine et sortis deux bouteilles en verre de bière. Je décapsulais les deux bouteilles et en tendis une à ma jeune amie.

« Je vais appeler la pizzeria pour que l’on commande, t’as une préférence ? »

Je bus une gorgée de ma bière en m’adossant au plan de travail qui se trouvait derrière moi. Je devais avouer que la grande nouvelle d’Anna me travaillait. J’espérais tellement qu’elle m’annoncerait arrêter la prostitution définitivement. Mais je me doutais qu’elle me parlerait d’autre chose, mais je priais pour qu’elle ne me donne pas des cheveux blancs… A votre avis, pourquoi je me teignais les cheveux ?? Entre ma jeune sœur enceinte qui me prenait pour sa confidente et ma mère qui avait débarqué… J’allais finir par ressembler à Dumbledore !

Je ne pourrais jamais expliquer pourquoi j’avais décidé que je devais sauver Annabelle de sa vie de prostitution. Après tout, c’est le plus vieux métier du monde et la jolie brune n’était ni la première, ni la dernière à se prostituer. Pourtant, Annabelle avait cet air fragile qui ne me laissait pas insensible. Je n’arrivais pas expliquer ce sentiment de protection que j’avais à son endroit. Parfois, je me disais que je devais être complètement fou… j’avais une vie bien remplie entre ma carrière d’artiste, une petite sœur enceinte jusqu’au yeux et complètement givrée, une mère… spéciale. Non, spéciale n’était pas le mot adéquat pour qualifier la femme qui m’avait mise au monde. Raven Conrad était incroyablement belle. Mais elle était aussi égoïste, manipulatrice, narcissique et persuadée que tout lui était dû. Elle qui nous avait abandonné avant même que l’on sache parler, avait soudainement refait surface dans nos vies. Autant le dire, Keri était hors d’elle. Ma sœur lui en voulait terriblement de nous avoir abandonné. Encore plus maintenant qu’elle allait être mère à son tour. Moi, je ne pouvais m’empêcher de vouloir comprendre pourquoi je m’étais retrouvé dans un orphelinat. Peut-être que si j’avais connu mes parents dès mon plus jeune âge, je n’aurais jamais eu ce besoin d’explication…

Revenant au moment, je focalisais mon attention sur la jeune femme qui partageait mon véhicule. Bien que je l’écoutais, mon esprit divaguait légèrement. J’étais intrigué, qu’est-ce qu’elle me réservait ? Je m’attendais à tout ! Être le frère de Keri, vous prépare à toutes les éventualités, TOUTES ! Mais, je ne pressais pas Annabelle. Je préférais pouvoir discuter tranquillement avec elle chez moi. Repensant au sourire éclatant qu’elle m’avait offert, une seule pensée traversa mon esprit : quelle connerie a-t-elle encore inventé ?

Une fois arrivés chez moi, j’enlevais mes baskets, que je rangeais avec un soin tout particulier dans la petite armoire prévue pour mes paires favorites. Celles que je portais régulièrement. J’avais un dressing, avec un pan de mur réservé aux autres paires de sneakers. Celles bien plus rares ! J’y veillais comme à la prunelle de mes yeux. Je laissais Anna se mettre à l’aise tandis que j’allais chercher des bouteilles de bières. Fun Fact sur moi : je détestais boire dans des canettes. Je trouvais que le goût des boissons était dénaturé, à la limite du dégoût !
Quand j’entrais dans le salon, elle était sur le canapé, à l’aise. Je souriais en repensant à toutes les fois où je l’avais embarqué chez moi, espérant la protéger. Si elle me le demandait, je l’aurais même accueilli sans aucun problème ! Mais je savais que sa fierté l’empêcherait de s’installer chez moi. Au départ, Annabelle avait toujours été très réticente et elle semblait mal à l’aise. Mais avec le temps, j’avais noté un changement. Elle semblait s’habituer à être chez moi, même si c’était parfois contre son gré… quand j’y pense… j’avais de la chance qu’elle n’ait pas porté plainte pour séquestration !!! Un homme noir qui oblige une femme blanche à rester chez lui… alors ok, je n’avais que de bonnes intentions envers elle, mais une personne qui verrait mes interventions musclées pourraient penser que je l’enlève !

« C’est comme si c’était fait ! »

J’attrapais mon téléphone et commandais une pizza chèvre miel. Puis, je me mis à hésiter, à douter. Eh, le choix d’une pizza est cruciale. Il faut choisir avec soin ! Et c’est donc après une intense réflexion sérieuse, que je pris une cannibale. Je précisais que je voulais un supplément de viande et de sauce barbecue. Je donnais mon nom, étant dans leur base de données, mon adresse était déjà enregistrée. Une fois la commande finie, je raccrochais et me laissais tomber sur le canapé en soupirant. J’adorais mon métier. Danser, chanter mais c’était épuisant. Je bus une gorgée de ma bière avant de dire :

« Bon, maintenant que nous sommes posés, abrège mes souffrances et dis-moi quelle est cette nouvelle incroyable. »

Est-ce que mon ton était implorant ? Oui. Totalement. En même temps, j’avais tellement peur de ce qu’elle allait m’annoncer… Annabelle était comme une sœur pour moi. Je tenais à elle donc forcément, je ne voulais que le meilleur pour elle !

Les femmes présentes dans ma vie auraient ma peau, j’en étais persuadé. Entre ma mère qui tentait de revenir dans ma vie après m’avoir repoussé, ma sœur qui avait décidé de conquérir le cœur du père de son enfant à naître et Anna qui avait une grande nouvelle à m’annoncer… je savais une chose. Cette nouvelle qui semblait la faire rayonner pouvait autant être une bonne chose comme une mauvaise. Tout dépendait du point de vue que l’on avait ! Par exemple, si elle m’annonçait s’être tapé un homme riche qui allait résoudre tous ses problèmes. De son point de vue, c’était une excellente chose. Du mien, j’imaginais un vieux pété de thunes, pervers voire pire, prêt à assouvir ses désirs les plus scabreux avec Anna… et comme elle serait dépendante, elle accepterait ses conditions. Rien qu’à cette pensée, je sentis la fatigue me gagner. Jouer les grands frères protecteurs était vraiment un travail à temps plein, et c’était épuisant. Mais j’avais beau me plaindre, en réalité, j’adorais être présent pour ces femmes que j’aimais. Même ma mère avait mon amour, malgré son absence dans ma vie. Je ne pouvais m’empêcher de l’aimer. Simplement, j’avais décidé de ne pas lui montrer. J’avais compris comment cette femme fonctionnait : si je lui montrais mes sentiments, elle ne ferait plus d’efforts. Et puis, ce n’était pas parce que je l’aimais que j’oubliais tout. J’avais toujours un peu de rancoeur, moins que Keri, mais quand même.

Alors que nous étions enfin arrivés chez moi, j’avais laissé Annabelle se mettre à l’aise. À force de se retrouver séquestrée chez moi alors qu’elle aurait voulu faire ses passes, elle avait fini par faire comme chez elle. Ça ne me dérangeait absolument pas, au contraire. Ma porte lui était grande ouverte. Si elle voulait dormir ici, une chambre de libre l’attendait. Elle pouvait se nourrir, prendre une douche, se coiffer etc. En bref, mi casa es su casa. Je commandais les pizzas que ma presque petite sœur avait décidé de payer. J’acceptais à contrecœur. Je savais qu’elle ne roulait pas sur l’or, et même qu’elle connaissait parfois des moments difficiles. Je lui avais proposé plus d’une fois d’emménager ici. Mais elle refusait obstinément, décidée à s’en sortir par ses propres moyens. Quitte à se retrouver dans la merde, elle préférait y rester que de faire tomber sa fierté pour que je puisse lui venir en aide. Une vraie tête de mule !

« Quoi ?? Sérieux ?! Tu travailles où ? »

En entendant qu’elle avait un nouveau travail, je me relevais d’un bond, un sourire rayonnant aux lèvres. Si j’étais croyant, j’aurais remercié le ciel d’avoir exaucé mes prières ! Depuis que je côtoyais Annabelle, je tentais de la faire changer de voie, qu’elle quitte la rue et entame une nouvelle vie. Je voulais qu’elle fasse un métier disons plus… banal. Genre serveuse, comptable… non en réalité, même si elle me disait qu’elle devenait éleveuse de lamas, j’aurais été heureux ! Être prostituée comportait tellement de risques ! Elle pouvait tomber sur un client qui s’en prendrait à elle, ou alors qui lui transmettrait une maladie. Elle pouvait se retrouver dans une bagarre avec une autre prostituée. Oui, j’avais de l’imagination mais ces choses n’arrivaient pas qu’aux autres. Ils étaient même bien plus fréquent qu’on ne le pensait !

J’avais failli mourir d’une overdose. On pouvait penser que ce n’était pas si courant… mais là terrible vérité était que la mort ne prévenait pas et ne faisait aucune distinction quand elle fauchait des êtres vivants. Parfois, elle laissait un sursis, comme une leçon que nous devions apprendre et ne jamais oublier. C’était mon cas. Je n’avais jamais oublié la terreur que j’avais ressenti en me sentant partir. Je pensais être prêt à faire face à la mort. Je pensais même qu’elle ne m’atteindrait pas. Mais une fois face à elle… je m’étais retrouvé démuni, seul. J’avais compris à quel point la vie était aussi précieuse qu’éphémère. Maintenant que cette leçon avait été apprise, je tentais de protéger mon entourage. Bien sûr, je ne pourrais pas les empêcher de mourir ou de vivre leur vie comme bon leur semblait. Je refusais simplement de rester les bras croisés quand je les voyais sur une pente glissante. Voilà pourquoi j’essayais de sortir Annabelle de la rue.

Je ne me rappelais plus vraiment les circonstances qui nous avait réunis, Anna et moi. Mais un jour, j’avais décidé de la protéger. Des prostituées, il y en avait à foison dans les rues de New-York. Il suffisait d’attendre que la nuit tombe pour les voir envahir les trottoirs, attendant qu’un client potentiel ne vienne à elles. Pourtant, c’était sûr Annabelle que j’avais décidé de jeter mon dévolu, en quelque sorte. Bien qu’attirante, je ne l’avais jamais vu comme une potentielle partenaire. Je ne me voyais pas profiter de sa faiblesse. Oui, j’avais le pouvoir dans cette relation. J’avais l’argent qui l’obligeait à faire ce métier. Ces petits bouts de papier me permettaient d’obtenir ce que je voulais. Si je voulais qu’une prostituée danse, elle le ferait. Si je voulais qu’elle chante, elle le ferait. Et si je voulais qu’elle s’allonge au sol, jambes écartées… elle se plierait à ma volonté. Et moi, ce genre de relation ne m’intéressait pas. Quand je couchais avec une femme, je voulais qu’il y ait du désir, de l’envie et de la passion. Pas un simulacre de relation. Donc, Anna n’entrait pas dans la catégorie des femmes que je voulais dans mon lit. Et puis, au vu de la relation qui s’était installée entre nous, il était impossible que je puisse ressentir de l’attirance pour Anna. Je la voyais comme une sœur et rien d’autre. Je me refusais à la voir autrement.

Quand elle m’annonçait qu’elle avait trouvé un nouvel emploi, je sautais de joie. Depuis que je la connaissais, Annabelle faisait le trottoir… à mon grand désarroi. Je n’avais de cesse que tout faire pour la sortir de là. Je m’inquiétais pour elle, c’était plus fort que moi. Je pensais à toutes ces choses qui aurait pu lui arriver. Eh, Samuel Little était un tueur en série qui s’en prenait avant tout aux prostituées. Il suffisait qu’elle monte dans la voiture d’un fou furieux et s’en était fini d’elle. Mais même sans aller jusqu’à cet extrême, Annabelle pouvait attraper une MST ! Ça aussi, c’était dangereux. Alors si enfin, elle sortait de ce système vicieux, j’étais heureux et je ne pouvais pas le cacher. Elle ne m’aurait pas cru ! Je lui demandais donc où elle travaillait. Souriante, elle me montra même son bide pour que je vois à quel point elle s’était remplumée. Je riais en voyant son ventre plat. Mais à présent, je ne distinguais plus ses côtes à travers sa peau fine.

« Mais attends… tu sais masser au moins ?? Pourquoi tu n’as pas fait ça plus tôt ? Et surtout, pourquoi tu ne m’as jamais massé les pieds ?! D’ailleurs, qu’est-ce que tu attends pour te mettre au boulot, je sors d’un concert, Anna ! »

Bah oui, je me posais tout de même des questions. Masser était un réel métier, des gens faisaient des études pour connaître l’anatomie humaine. Un faux mouvement et une personne se retrouvait avec une douleur bien plus intense qu’initialement. Ef puis, si elle avait ses connaissances pourquoi ne pas les avoir mis à profit plus tôt ? Mais le principal restait qu’elle avait un emploi plus sécurisé, un toit sur sa tête et de la nourriture à sa table !

Bien sûr, je la taquinais sur le fait qu’elle aurait pu tout ce temps m’offrir un massage. Juste me masser les pieds ou les épaules. Mais non, mademoiselle mangeait au frais de la princesse. Même pas un petit massage des mains… quelle déception !

« Je suis super content, Anna. C’est vraiment super que tu aies un nouvel emploi ! Au moins, je ne viendrais plus te chercher dans la rue maintenant ! Mais je peux continuer, si ça te manque ! » terminai-je en riant.

Un jour, je finirais en cellule pour tentative d’enlèvement. Heureusement que ma jeune amie opérait dans des quartiers mal famés, où les gens s’occupaient de leurs affaires. Dans ce genre d’endroit, appeler la police était mal vu. Les agents des forces de l’ordre avaient une mauvaise réputation. Il faut dire qu’entre les bavures et les fois où le peuple estimait qu’ils ne faisaient pas correctement leur travail… je pouvais les comprendre. Quand j’entendais des histoires où de pauvres enfants étaient victimes de meurtres et d’agressions sans que personne ne soit intervenus… mais ça ne m’empêcherait pas de les appeler si j’avais un problème. Et puis, ce n’était pas un métier facile. Pour rien au monde, je n’aurais pris leur place. Assister à des scènes de crimes, très peu pour moi ! On sonna à la porte.

« Les pizzas sont arrivées !! Aller, raboule le fric, poupée ! » lui dis-je en riant.

Tandis qu’elle tendait les billets, je remarquais la fierté de pouvoir enfin payer une pizza. Je souriais. J’étais heureux la voir bien plus épanouie, moins renfermée sur elle-même. J’aimais voir cette Annabelle, souriante, pétillante et heureuse d’être là ! Je pris la somme et allais récupérer les pizzas. Je revenais dans le salon, les mains prises par les cartons fumants. Une odeur délicieuse me précédant et me mettant l’eau à la bouche. Je bavais presque sur les pizzas. Je les posais sur la table basse et ouvrir les cartons pour repérer la mienne. J’attrapais une part et me rassis sur le canapé. J’englouti une part et je ne pus retenir le son du plaisir s’élever dans le silence.

« C’est encore meilleur quand c’est gratuit ! Merci Anna ! »

Je riais, j’aimais bien la taquiner et puis pour une fois qu’elle pouvait m’offrir le repas. Je tenais à lui montrer ma reconnaissance. Ce n’était pas grand chose, juste une pizza. Mais je savais que cette pizza symbolisait beaucoup pour Anna. Pour une fois, elle ne dépendait pas de moi pour manger. Et d’une certaine façon, elle me rendait les repas que je lui offrais. Mais bien sûr, je m’en foutais royalement. Je lui offrais un endroit où se reposer de bon cœur, sans rien attendre en retour. Si je l’avais fait en pensant qu’elle me le rendrait… je ne l’aurais pas aidé. J’aurais plutôt aidé une personne assez fortuné pour m’offrir un yacht, tiens ! Tout en mangeant ma part, je me tournais vers elle et lui demandait :

« Au fait, c’est qui la Baronne ? Ta patronne ? »

Je me penchais pour attraper la bouteille de verre contenant ma bière. Je bus une gorgée et me tournais vers Annabelle. Ouais, la petite remplissait bien plus ses vêtements. Elle n’avait pas plus cet aspect quasiment famélique. J’avais moins qu’elle s’envole au moindre coup de vent. Même son visage semblait plus rond, plus rempli.

Parfois, j’avais l’impression d’avoir deux petites sœurs avec Keri et Anna. Keri était ma sœur par le sang mais Anna, des circonstances étranges nous avaient liés. Je n’arrivais pas à expliquer pourquoi je m’étais attaché à elle, pourquoi j’avais décidé de l’aider elle et pas une autre ! Des prostituées, il y en avait d’autres à New-York. Ce n’était pas comme si elle était la seule ! Pourtant, je m’étais mis en tête de la sortir de la prostitution, de la rue. Peut-être était-ce dû à cette fragilité que je ressentais à côté d’elle. Et puis, elle était vraiment jeune. Selon moi, elle aurait dû être à l’université, le nez plongé dans des livres. J’aurais préféré la voir bosser dans un magasin de vêtements ou même comme serveuse dans un resto plutôt que la savoir dans la rue à attendre qu’un pauvre type ait envie de la tripoter dans une ruelle sombre. Je l’imaginais à la merci d’un malade mental qui lui ferait du mal sans être inquiété de finir en prison. Rien qu’à cette pensée, mon cœur se glaça instantanément. Je tenais vraiment à cette fille. Je ne voulais surtout pas qu’il lui arrive malheur…

« Franchement, Anna… t’es pas sympa !, lui dis-je en riant. Tant que ça te permet de gagner de l’argent, c’est cool ! Tu as bien le temps de te perfectionner. Et puis, si jamais tu as besoin de clients, tu me tiens au courant, je pourrais toujours ramener des potes à moi ! »

Si je pouvais Anna à garder ce boulot et qu’elle ne retourne plus jamais sur un trottoir, j’étais prêt à l’aider. Et s’il fallait que je sois moi-même client et que j’en fasse de la promotion à chacune de mes apparitions publiques, j’étais prêt ! Je la taquinais sur sa capacité à masser, mais dans le fond, je voulais vraiment qu’elle se perfectionne pour qu’elle conserve son emploi. Et puis, j’étais fier qu’elle ait fini par sortir de là ! Je devais avouer que j’étais sûrement de la vieille école, mais pour moi, la prostitution n’était pas une bonne chose. Elle laissait la porte ouverte à tous les vices et certaines personnes étaient vraiment dérangées !

« Ma porte te sera toujours ouverte, tu sais ! Même si tu ne seras plus dans la rue, tu seras toujours la bienvenue ici… attends, tu travailles à quelques pas de ton spot ? Mais comment tu as eu ce job ? »

C’était une chance incroyable qu’elle ait trouvé du travail aussi facilement. Et si en plus, il n’était pas loin de son ancien « job », ça devait être un avantage pour elle ! Elle connaissait déjà le quartier, elle n’aurait donc aucun mal à s’y retrouver. Je l’abandonnais quelques minutes pour récupérer nos pizzas. C’était étrange que ce soit elle qui m’invite. Je n’avais aucun problème avec le fait qu’elle paye, mais j’avais tellement l’habitude que ce soit moi qui paye… à présent, elle était capable de le faire. Je me sentis soudain soulagé. Si elle avait les moyens de nous payer des pizzas, c’est qu’elle pouvait enfin subvenir à ses besoins. Elle ne survivait plus. La preuve, son ventre qui semblait bien plus rebondi que la dernière fois où je l’avais vu. Alors oui, Anna n’était pas non plus prête à rentrer dans une taille 46 mais elle se remplumait à vue d’œil. Quiconque l’avait connu avant verrait le changement. Ça faisait plaisir à voir, même son humeur semblait s’améliorer maintenant qu’elle mangeait à sa faim.

De retour dans le salon, je déposais nos pizzas avant de me servir une part. Je lui demandais qui celle qu’elle appelait la Baronne. Tandis qu’elle me répondait, je bus une gorgée de ma bière. En reposant la bouteille sur la table, je ne pus m’empêcher de froncer les sourcils. Je trouvais ça bizarre que sa patronne se fasse appeler la baronne. Après tout, quand on bossait pour une personne, elle avait une identité propre, pas un vague surnom. Mon instinct me disait que quelque chose clochait dans cette histoire… mais je ne voulais pas froisser Anna. Elle avait eu l’air si heureuse de m’annoncer qu’elle avait enfin un vrai travail. Mais en même temps, si elle courait un danger auprès de cette « baronne »… je mordais dans ma part, tiraillé entre deux feux quand je finis par craquer.

« C’est bizarre… une baronne avec un empire. Elle devrait plutôt être une impératrice, non ? Elle a un prénom au moins ? »

J’avais commencé par une de mes blagues pas drôles histoire de ne pas lui donner l’impression de lui faire passer un interrogatoire… même si c’était un peu le cas. Mais c’était pour son bien. Et puis, je n’arrivais pas à taire le mauvais pressentiment que j’avais. Cette histoire me paraissait louche, comme si Anna ne me disait pas tout. Je n’aurais pas su dire d’où me venait cette impression mais je décidais qu’il valait mieux que je l’écoute. Mieux vaut prévenir, que guérir…

J’étais vraiment fier de voir qu’Anna avait réussir à se sortir de la rue. Je m’en foutais qu’elle soit masseuse, serveuse ou garde du corps du président. Tout ce que je voulais, c’était qu’elle arrête de faire le trottoir afin de subvenir à ses besoins. Plus d’une fois, je lui avais proposé mon aide en l’hébergeant ou en lui donnant mais sa fierté l’empêchait d’accepter. Mais si ce n’était que ça, j’aurais fini par l’éroder jusqu’à ce qu’elle accepte la main que je lui tendais. Mais elle était plus têtue qu’une bourrique ! Et ça, c’était plus compliqué à vaincre ! J’en savais quelque chose, ma sœur l’était, ma mère l’était. Moi, je savais quand il fallait accepter l’aide que l’on nous offrait. Mais apparemment, j’étais entouré de femmes toutes plus entêtées les unes que les autres ! Alors voir Annabelle s’en sortir par ses propres moyens me rendait d’autant plus fier. Donc, avec un hochement de tête, j’acceptais sa volonté de continuer de cette manière. Même si le grand frère en moins voulait la protéger de tous les dangers et l’épauler du mieux qu’il le pouvait, je savais que j’allais la braquer si j’insistais trop. Et puis, elle avait l’air de s’en sortir. Son bidon remplumé en était la preuve !
J’écoutais son court résumé sur comment elle avait trouvé ce nouvel emploi. Sa patronne l’avait retrouvé sur son trottoir avant de lui offrir la possibilité de changer enfin de vie. Ça pour un coup de pot… Pourtant, une petite alarme s’allumait dans mon esprit. Je l’appelais mon alarme à conneries. Dans toute cette histoire, je sentais qu’il y avait un truc pas net, quelque chose de louche. Mais je préférais me taire. J’étais sûrement trop méfiant, il n’y avait sûrement rien de bizarre. Tous les jours, des gens proposaient leur aide. Mes parents l’avaient fait pour moi et je ne cessais de le faire pour Anna. Pourtant, avant que je ne commence à la séquestrer chez moi, Annabelle était une parfaite inconnue pour moi. Une prostituée parmi tant d’autres. Pourtant, ça ne m’avait pas empêché de l’aider, contre grès…

« Eh bien, tu as eu de la chance de la rencontrer ! On dirait que tu attires les bonnes personnes autour de toi, la crevette ! »

Je lui fis un sourire radieux. Je pensais sincèrement ce que je disais. Annabelle semblait attirer les personnes qui pouvaient l’aider à améliorer son quotidien. Il faut dire qu’elle avait ce petit truc qui donnait envie de la protéger. Je ne pouvais pas me l’expliquer mais quand je la voyais, j’avais envie de la serrer dans mes bras, la réconforter et lui assurer que tout irait bien. Je ne savais pas ce qui me conduisait à penser de cette manière mais c’était là. Alors quand elle me donna une explication plus ou moins bancale concernant l’identité de sa patronne… Mon alarme à conneries s’alluma à nouveau. Non, décidément, son histoire comportait trop de zones d’ombres. Il y avait un truc qui me chiffonnait mais je n’arrivais pas à mettre le doigt sur ce que c’était ! Pourtant, Annabelle n’avait pas l’air pressée de me dire ce qu’elle me cachait… Elle s’était peut-être foutue dans une emmerde et n’osait pas me le dire… Il fallait que j’aie le fin mot de cette histoire mais je ne savais pas trop comment aborder le sujet. Si je mettais les deux pieds dans le plat, je savais qu’elle se refermerait comme une huitre et je n’obtiendrais rien d’elle qu’un silence lourd. Pire, elle serait capable de s’en aller sans demander son reste. Il fallait que je la joue fine… Donc, j’étais foutu ! Mais j’étais prêt à tenter le coup !

« Je vois, mais tu me diras que c’est que quand même bizarre de se faire appeler la baronne. Les seules personnes que j’ai entendues se faire appeler par ce genre de surnoms… Ce sont les gens qui n’ont pas un business très légal… »

Je mangeais une part de ma part de pizza et me tournais vers Annabelle. Elle avait l’air de se régaler. Si pour moi, la pizza était plutôt bonne, pour elle qui goûtait enfin au plaisir de me payer une pizza, ça devait être un régal. D’autant plus que, de ce que j’avais compris, Annabelle faisait partie de ces personnes qui n’avaient pas toujours la chance de pouvoir se permettre ce genre de plaisir. Reportant à nouveau mon attention sur ma pizza, je lui demandais d’une voix qui se voulait neutre :

« Tu me le dirais si tu étais dans la merde ? Tu sais que tu pourras toujours compter sur moi, pas vrai ? »