Un rebelle à terre (Melody)

Austin est assis sur le rebord de sa fenêtre, une cigarette coincée entre son index et son majeur. Son regard est vide. Il ne sait pas quoi penser face à ce qu’il a appris quelques jours plus tôt. Le jeune homme a été abandonné à la naissance, confié à un orphelinat tenu par des religieuses. Ses parents, il ne les a jamais connu. Même s’il a toujours fait semblant de ne pas être touché par cette situation, il a toujours ressenti le besoin de savoir qui étaient ses géniteurs. Comme tous les enfants abandonnés, il veut comprendre pourquoi on l’a laissé seul. Il a beau avoir une image d’un jeune homme désinvolte et rebelle, il cache au fond de lui un petit garçon, seul et triste, attendant de connaître un jour le bonheur d’être avec des parents aimants qui le protègeraient. Mais il sait que ce petit garçon sera toujours seul. Personne ne l’adoptera. C’est comme une loi immuable. Il a connu de brèves adoptions, mais il finissait toujours par être renvoyé à l’orphelinat. Parfois, il avait l’impression d’être comme un de ces petits chiens à la SPA qui espère trouver une famille, en vain. Pourtant, depuis un moment, il vit chez les Underwood. Une famille religieuse voulant le ramener sur le droit chemin, faire de lui un bon chrétien. Mais c’est trop tard, Austin n’est même pas croyant. Après toutes les prières qu’il a adressé au Seigneur sans jamais trouver de réponse. Il a fini désabusé et cynique. Les religieux se mentent eux-mêmes dans le seul but de se rassurer. Même s’il regarde parfois avec dédain la famille Underwood, il les aiment bien. Ils ne l’ont pas rejeté ou maltraité comme dans ses précédentes familles d’accueil. Ici, il peut manger à sa faim, il a des vêtements neufs et même sa propre chambre ! C’est incroyable pour lui !
Malgré toutes leurs bonnes actions envers lui, Austin gardait jusqu’alors cette question : qui sont ses parents ?

Il entend du bruit dans la chambre voisine, celle de Melody, sa sœur adoptive si on veut. Autant ses parents l’ont accueilli à bras ouverts, Melody était plus frileuse. Austin sait qu’avant lui, il y a eu d’autres enfants qui lui ont laissé une mauvaise impression. Il n’est pas mieux. Austin n’est pas un ange, c’est même un délinquant. Une nuit, il a fait sortir Melody de son lit pour qu’elle vienne le sortir de garde à vue. Et plutôt que rentrer, il l’a entraîné dans un resto chinois. Même si elle n’était pas du tout à l’aise avec l’idée de faire le mur mais elle l’a suivie, pour ne pas se retrouver seule. Pendant qu’il mangeait, il lui avait parlé de sa vie à l’orphelinat, des bonnes sœurs, l’attente de l’adoption… Bon, ils avaient aussi parlé du peu de foi que le jeune homme avait pour la religion chrétienne. Et face à une fervente catholique, un dialogue de sourd s’en était suivi. Mais, Melody lui avait dit quelque chose qui n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd : il pouvait chercher ses parents. Bien qu’il n’ait rien montré sur le moment, son idée avait fait son chemin. Le lendemain, il avait entamé des recherches. Durant des semaines, il avait questionné, cherché le moindre indice sur sa mère. Et puis, la nouvelle était tombée. Sa mère est morte. Une junkie qui tapinait. Si ca trouve, Austin l’avait déjà croisé sans le savoir. À cette pensée, son cœur se serre. Il a conscience que jamais elle n’aurait pu lui offrir une vie stable. Mais il ne peut s’empêcher de se dire qu’elle ne l’aimait pas assez pour quitter cette vie merdique et s’occuper de lui. Austin regarde cette chambre. Il a beau dire que c’est la sienne, il sait que ce n’est pas le cas, ce n’est qu’une illusion. Il a envie de tout casser. Arracher les couvertures du lit, les déchirer. Réduire en morceau le bureau. Il voudrait déverser sa colère et hurler sa rage… mais il n’en a pas la force. Et il se sent incroyablement seul…

Le jeune homme écrase sa cigarette dans le cendrier et rentre à l’intérieur de la chambre. Il laisse la fenêtre pour ouverte pour laisser l’air circuler pour que l’odeur de cigarette ne reste pas trop longtemps. Il pense alors aux parents Underwood qui lui ont ouvert leur porte. Ils ont beau être des religieux qui l’emmerdent avec leurs principes, il n’en reste pas moins qu’ils sont les seuls à ne pas l’avoir rejeté… Il pense à son père. Sûrement un client de sa mère. Il ne veut pas le retrouver. Il se doute que ce dernier niera les faits, il est peut être le fruit d’un adultère. Et puis, rares sont les hommes qui admettent avoir des relations sexuelles avec une professionnelle. Il n’a pas envie de vivre une nouvelle déception. Soupirant, il s’assoit sur son lit. Le vent caresse la peau nue de son torse mais le jeune ne ressent rien. Depuis qu’il a apprit la mort de sa mère, il est comme vide… il ne ressent que de la colère. Il pensait que le froid le sortirait de sa torpeur. Mais il a l’impression qu’elle a engourdit chaque fibre de son corps. Il voudrait disparaître… un son le sort de ses pensées. Quelques coups timides frappés à sa porte.

« Quoi ? » demande-t-il doucement, presque implorant, il n’a même pas la force d’être désagréable.

Une jolie rousse passe la tête par la porte. Il savait bien que c’était Melody, ses parents étant absents. Comme à son habitude, la jeune fille semble gênée, autant par la demi nudité du jeune garçon que de sa présence en ces lieux. En temps normal, Austin lui aurait fait une blague grivoise pour amplifier son malaise. Mais dans son état, il se contente de l’observer silencieusement, attendant de connaître la raison de sa venue.

Sa mère est morte. Cette affirmation lui arrache le cœur. Austin pensait avoir réussi à se blinder contre ce genre d’émotions. Mais il constate, à son grand regret, que c’est pas le cas. Il a mal, vraiment mal. Jamais il ne saura pourquoi sa mère a décidé de l’abandonner. Il a bien une idée mais le petit garçon en lui ne cesse de se dire qu’il n’était pas assez bien pour elle. Il se dit qu’il n’aurait pas dû entamer des recherches. Il aurait mieux fait de rester dans l’ignorance. Il se déteste pour cette erreur. Il observe cette chambre qui n’est pas la sienne et ne le sera jamais. Austin est un Malone… c’est ce que lui on dit les bonnes sœurs. Mais il sait que c’est faux. En réalité, s’il avait prit le nom de sa mère il s’appellerait Austin Carson. Sa mère, Stacy Carson avait donné un faux nom de famille. Il se sent mal, il se dit que son identité est fausse. Tout se bouscule dans son esprit. Il a envie de fuir loin, de tout oublier… mais irait-il ? Et puis de toute façon, il n’en a pas la force. Les quelques pas qu’il a fait pour se laisser tomber sur son lit ont été une torture alors s’enfuir… et qu’est-ce qu’il dirait aux parents Underwood. Il a beau ne pas les considérer comme ses parents, ce sont les seuls qui se sont comportés comme tels avec lui.

Depuis qu’il vit chez eux, les Underwood n’ont de cesse d’essayer d’approcher Austin le terrible. Ils ont été conciliants avec lui, acceptant, plus ou moins, ses escapades nocturnes, sa dépendance à la nicotine et son insolence. Bien qu’ils tentent d’en faire un citoyen modèle, ils ne l’ont jamais obligé à les suivre à la messe. Il peut manger dans sa chambre. Jamais le père de Melody n’a tenté de lever la main sur lui. Il n’a subi aucune injure… Austin mesure alors la chance qu’il a eut de tomber sur une famille aussi normale. Il en a vu des familles d’accueil, il peut affirmer que certaines sont tordues et malsaines. Et beaucoup accueillent des enfants uniquement pour toucher les subventions de l’état et rien d’autre.

Le cours de ses pensées sont interrompus par le bruit que fait Melody en tapant contre sa porte. D’une voix presque faible, il lui fait comprendre qu’elle peut entrer. Elle tient une assiette de cookies. L’odeur est alléchante et pourtant le jeune homme n’a pas envie de manger. Rien ne peut entrer dans sa bouche. Il la voit entrer dans sa chambre et poser l’assiette où elle peut sur son bureau encombré. Il pense à l’un des papiers… l’acte de décès de sa mère. Il est à présent écrasé par l’assiette. Mais il ne dit rien. Melody est douce, elle semble marcher sur des peux, de peur que le jeune homme reprenne vit et l’assaille encore de paroles salaces. Mais il n’en a pas envie. Pas avec l’une des seules personnes qui a l’air de se soucier de lui.

« Merci, Melo. » murmure-t-il.

Finalement, il se fait violence pour se lever. Il ne veut pas la froisser alors il tend la main et saisit un cookie. Il croque dedans. La douceur sucrée est délicieuse mais il a l’impression de manger du ciment tant il est perturbé. Pourtant, il n’arrête pas de manger. Il retourne sur son lit et s’y assoit.

« Ils sont très bons… »

Il le pense vraiment. Il sait que son manque d’enthousiasme n’a rien à voir avec les cookies préparés par les soins de la jeune fille. Ce n’est pas elle la raison de son apathie. C’est ce qu’il a apprit. Il n’était pas prêt à une telle nouvelle… et encore plus quand il sait que sa mère était une prostituée ! Il se lève à nouveau et se dirige vers son bureau. Il récupère les papiers cachés sous l’assiette. Il voit une photo de sa mère mais son visage ne lui dit rien. Et puis, la drogue abîme aussi physiquement les gens. Il essaye de visualiser celle qui fut sa génitrice le visage décharné, les yeux hagards. Peut-être avait-elle les cheveux sales, filasses et ternes. Il touche la photo du bout du doigt. Il fait passer la feuille derrière. L’acte de décès… ses doigts tremblent. Il fixe un moment le papier, espérant que l’identité change miraculeusement mais ne change. C’est bien Stacy Carson qui est inscrit sur ce bout de papier insignifiant.
Melody est toujours là, inconsciente de la peine qui étreint sa poitrine. Elle ne comprend pas sa tristesse mais sa présence silencieuse est un réconfort inattendu pour le jeune homme. Il dit alors sans la regarder :

« Melo, c’est l’acte de décès de ma mère… elle est… »

Sa voix se brise, trahissant son trouble. Il ne veut pas le dire à voix haute, ça rendrait tout cela trop réel. Il est incapable de former les mots pourtant si simples. Il se lèche les lèvres avant de poursuivre :

« Je ne voulais pas savoir. Je vivais très bien dans mon ignorance. Mais j’ai décidé de savoir qui était ma mère et… aujourd’hui, je regrette presque d’avoir cherché… »

Il sent que les larmes brûlent ses prunelles. Il ferme les yeux pour les empêcher de couler sur ses joues. Il ne veut pas montrer ses faiblesses. Il refuse de paraître plus faible qu’il n’en a l’air. Quand il ouvre les yeux, Melody est devant lui. Il la regarde. Elle paraît si minuscule, si fragile. Pourtant à cet instant, Austin se dit qu’elle est certainement plus forte que lui. Il aimerait juste pour une fois être faible. Pleurer de tout son soûl. Se faire cajoler et réconforter par une personne attentionnée. Mais il ne se le permet pas. Même la larme qui réussit à couler sur sa joue, il l’essuie rapidement. Mais la larme n’était pas seule car d’autres suivent le chemin qu’elle a tracé. Il se retrouve alors le visage baigné de larmes, le corps secoué de sanglots. Pourtant, il continue de paraître fort, le visage impassible. Il se retient de se laisser aller. Il n’en a pas le droit !

Austin est dévasté, il ne pensait pas que cette nouvelle l’atteindrait avec autant de force. Quand il a eut les documents sur le décès de sa mère, c’est comme si une boule de glace avait coulé dans son estomac, le paralysant totalement. Depuis, il était comme amorphe. Incapable de revenir à la surface, se laissant couler au fond d’une mer sans fond. Il ne comprend pas ses sentiments, il ne la jamais connu… et pourtant, il est malheureux et en colère. Il n’aurait pas dû la chercher. Il vivait très bien dans l’ignorance. Mais il a été curieux… peut-être que dans le fond, il a espéré que face à son fils, Stacy Carson serait prise de remords et ferait partie de sa vie. Mais il ne le saura jamais. La jeune femme a sombré dans la drogue jusqu’à ce qu’une overdose n’arrête son cœur.
Seul face à son chagrin, il n’arrive pas à y faire face. Les parents Underwood tentent de lui parler chaque fois qu’ils le croisent. Ils ne comprennent pas son état, ils s’inquiètent pour lui. Mais Austin n’arrive pas à les rassurer. Il ne le peut pas, il s’est réfugié dans le silence, se contentant d’hocher de temps à autre la tête. Alors, pour ne pas les déranger plus, il s’enferme le plus clair de son temps dans sa chambre. Il fume bien plus que d’habitude. S’il pouvait boire, il le ferait mais ça voudrait sortir dehors et devoir discuter. Et il n’en a pas envie. Il n’en a pas la force. Il est écrasé par le poids d’une douleur sourde qu’il n’a encore jamais connue.

Seule une personne réussit à lui arracher quelques paroles… c’est jolie petite tête rousse qui est venue lui apporter des cookies tout chauds qu’elle a préparé. Il n’avait pas l’intention de les manger. Pourtant, il se met à croquer dans un cookie et ne s’arrête qu’une fois le cookie englouti entièrement. Il la remercie et lui dit qu’ils sont très bons. Même s’il a l’impression d’avaler du ciment… mais les cookies ne sont pas fautifs. Alors, il ne dit rien à Melo. Elle ne mérite pas de recevoir sa mauvaise humeur. Elle n’est pas responsable de la mort de sa mère. Et puis… il y a quelque chose de différent. Il ne veut pas être méchant avec Melody. Elle a toujours été gentille avec lui, comme ses parents. Il a toujours tout fait pour l’enrager, la pousser dans ses retranchements pour voir si elle pourrait craquer. Mais jamais elle n’a cédé, elle n’a jamais été méchante avec lui, même quand il le mériterait.

Il lui explique alors la raison de son mutisme, ce qui le pousse à garder le silence depuis quelques temps. Melody ne l’interrompt pas, et heureusement, sinon il pourrait à nouveau se réfugier dans cet état catatonique. Quand sa voix se tarit, brisée par sa souffrance. Il tente de garder la face, mais rapidement, des larmes coulent le long de ses joues. C’est comme si le fait de l’énoncer à haute voix, il rendait tout ça réel. Il aimerait rester impassible et froid mais il n’y arrive pas. Il redevient le petit garçon qui cherche réconfort et amour. Mais il ne viendra pas… du moins, c’est que le jeune homme pense. Sans même faire cas de son torse nu, Melo s’approche et le prend dans ses bras. Austin est perdu. Il ne sait pas comment répondre, être cajolé n’est pas une habitude chez lui. Son corps secoué de sanglots se laisse alors allé contre Melody. Il ne peut plus se retenir, ni faire semblant d’être fort. Il entoure de ses bras alors la jolie rouquine qu’il a tant embêté et pleure. Il pleure cette mère qu’il n’a jamais connu et ne connaîtra jamais. Il pleure son rêve qu’il avait de retrouver ses parents pour former une famille heureuse. Jamais il n’aura cette famille dont il a tant rêvé… son cœur est déchiré. Il finit par se laisser tomber sur son lit. Il sait que Melo ne pourra pas le soutenir bien longtemps. Et puis, pleurer finit toujours par fatiguer. Alors quand il sent que ses larmes s’épuisent, il s’essuie le visage. D’une voix enrouée, il lui dit :

« Je suis désolé de t’avoir embêté avec mes problèmes… »

Le jeune homme n’ose pas la regarder. Il éprouve une certaine honte à avoir pleurer mais il ne peut nier qu’il sent qu’il avait besoin de lâcher ses émotions, qu’il lui fallait ce moment pour sortir de cet état d’apathie. Melody dégage une douceur naturelle, sa présence seule est comme un réconfort pour le jeune homme dévasté. Il avait besoin de ce moment de vulnérabilité pour commencer à guérir. Pourtant, il se sent mal, il n’a pas l’habitude de se montrer si vulnérable, surtout devant une personne qu’il a taquiné et provoqué. Mais il se rend compte que depuis que les Underwood sont dans sa vie, ils ne l’ont jamais laissé tomber. Il a toujours eu cet lueur d’espoir, incarnée par Melody et ses parents. Ils ont été plus qu’une famille d’accueil pour lui, ils ont été sa bouée de sauvetage, son refuge dans la tempête.

« Tu sais Melo, je… je ne suis pas doué pour ce genre de chose. Pour parler, pour exprimer ce que je ressens. Mais… merci. Merci d’être ici, pour m’écouter, pour juste… être là. Ça compte beaucoup pour moi, plus que je ne pourrais te le dire. »

Il détourne le regard, fixant un point indéfini sur le mur, comme s’il cherchait ses mots. Il a tant de choses à dire, mais les mots semblent se perdre dans le tumulte de ses émotions. Tout se mélange dans sa tête. La colère, la reconnaissance, la tristesse, la peur…

« Tu es… tu as toujours été gentille avec moi. Même quand je ne le méritais pas. Même quand je faisais tout pour te pousser à bout. Et je… je suis désolé pour ça. Pour tout. Je ne sais pas pourquoi je me comporte comme ça parfois. Peut-être que c’est ma façon de… de tester les gens, pour voir s’ils restent. Pour voir s’ils se soucient vraiment de moi. »

Il inspire profondément, sentant une boule d’émotion monter dans sa gorge. Il ne veut pas pleurer à nouveau, mais il sent que les mots qu’il prononce sont une forme de libération. Austin comprend par la même occasion qu’il a toujours eu l’impression que les gens l’abandonneraient. Après tout, même quand il était enfant et encore innocent, il a vu défiler des couples, des familles qui se disaient prêts à lui venir en aide mais qui finissaient tous par le ramener à l’orphelinat.

« Je ne sais pas ce qui va se passer maintenant, avec… avec tout ça, » dit-il en faisant un geste vague, comme pour englober le chaos émotionnel causé par la nouvelle sur sa mère. « Mais je suis content que tu sois là. Que vous soyez tous là pour moi. »

Il pose enfin son regard sur Melody, un mélange de tristesse et de reconnaissance dans les yeux. Il sait qu’il a encore un long chemin à parcourir, mais pour la première fois depuis longtemps, il sent qu’il n’est pas seul dans ce voyage. Et c’est grâce à Melody et à sa famille. Austin ne se fait pas d’illusion, il ne changera pas du jour au lendemain. Mais il peut faire des efforts pour être plus facile à vivre. Les Underwood sont les seuls à vouloir l’aider malgré ces actes qui auraient rendu fou n’importe quel parent. Il peut au moins leur rendre la vie un peu plus facile…

C’est une première pour le jeune homme… il s’est confié à quelqu’un. Et pas n’importe qui, c’est Mélody qu’il a enfin ouvert son coeur. Plus encore, il pleure à chaudes larmes sans réussir à s’arrêter. Il le veut pourtant mais c’est plus fort que lui. C’est comme s’il pleurait pour toutes ces années à cacher et à enfouir ses sentiments au plus profond de lui. Il essaye de paraître fort et solide. Mais quand Melody vient à le prendre dans ses bras, il craque totalement et se laisse aller à la tristesse. Il est secoué de sanglots. Au diable la virilité, il vient d’apprendre que sa mère est décédée et qu’il ne pourra jamais la connaître. Il ne connaîtra jamais son père. Et toutes les questions qu’il a resteront à jamais sans réponse. Sans même s’en rendre compte, il bascule sur son lit, entraînant par la même occasion Melody. Mais il a la tête ailleurs, tout se bouscule et il ne prête plus attention à grand chose. Tout ce qui compte, c’est ce moment de réconfort que lui offre la jeune fille. Il aimerait pouvoir rester comme ça toute une vie. Ne plus avoir à se lever et juste pleurer dans les bras de celle dont il s’est tant moqué. Mais la réalité le rattrape, ses larmes finissent par se tarir petit à petit. Ses sanglots s’estompent jusqu’à disparaître totalement, le laissant essoufflé et épuisé. Pourtant, il se sent un peu moins lourd. Il sent qu’il avait besoin de ça, de cette crise de larmes pour pouvoir avancer.

Maintenant que la crise est passée, et qu’il peut aligner plus de trois mots sans éclater en sanglot, Austin se confie encore à Melody. C’est la première fois qu’il met des mots sur ses sentiments. Depuis qu’il a apprit que sa mère n’était plus de ce monde, il s’est enfermé dans son monde. Il n’a eut de cesse de cogiter encore et encore sur sa vie, sur qui il est et pourquoi il est comme ça. Il commence à comprendre que se faire détester est un mécanisme de défense qu’il a développé à force de se faire rejeter quand il faisait tout pour se faire accepter. Le rejet n’est pas plus simple à vivre mais en étant détestable, il a une raison qui explique pourquoi il est abandonné par son entourage.
Il ne pleure plus pourtant, ni lui, ni Melody n’a l’air de vouloir se lever. Austin se rend compte à quel point leurs corps sont proches. C’est la première qu’ils se tiennent aussi près l’un de l’autre. Il a envie de la serrer un peu plus fort contre lui, de plonger son visage dans sa chevelure flamboyante et oublier le monde qui l’entoure. Ce moment est si réconfortant pour lui. Et ses envies n’ont rien de sexuelles. Il veut juste profiter de ce moment de tendresse car c’est la première fois qu’il vit ça. C’est la première fois qu’une personne lui offre une étreinte sans rien attendre en retour, un câlin sincère, sans arrière pensée. Et il ne veut pas voir ce moment se finir.

« Me recueillir sur sa tombe… Je n’aurais jamais cru vivre ça… »

Austin inspire longuement puis expire. Il ne va pas pleurer malgré la boule qui se forme dans sa gorge. La douleur est là, elle lui écorche le coeur à chaque fois qu’il respire. Il n’a jamais connu sa mère pourtant il en souffre terriblement. Il n’imagine même pas s’il avait eu le temps de la connaître et de peut-être s’attacher à elle. Il ne sait pas si aller sur la tombe de sa mère l’aidera à avancer, à faire son deuil. Mais, il ne peut pas être plus mal qu’il ne l’est déjà. Doucement, il dit alors :

« Tu veux bien m’y accompagner… Je n’aurais pas la force d’y aller tout seul… »

Un nouvel aveu de faiblesse. Décidément, il est vraiment affecté par cette situation. Et bien plus qu’il ne le voudrait. Mais à quoi bon faire semblant ? Melody l’a réconforté alors qu’il avait le visage baigné de larmes. Il n’a plus vraiment de raison de faire semblant. Il se rend alors compte d’une chose : il caresse les cheveux de Melody. Il a fait ce geste sans même réfléchir, comme si c’était le geste le plus normal qu’il puisse faire quand il tient Melo contre lui. Et c’est pourtant la première fois qu’ils sont dans cette position. Il sent les mains de Melody sur la peau nue de son torse. En d’autres circonstances, il en aurait profité. Il lui aurait balancé une blague salace qui aurait fait rougir Melody et il en aurait rit. Mais aujourd’hui, ce n’est juste pas possible qu’il le fasse. Par contre, il ose faire quelque chose qu’il n’aurait pas fait. Il penche son visage vers celui de la jeune fille et dépose un chaste baiser sur son front. C’est un baiser fugace, sans aucune arrière pensée. Il ne fait pas ça pour obtenir quoi que ce soit. Il retire si rapidement ses lèvres qu’il en arrive à se demander s’il a vraiment embrassé le front de Melo. Il espère qu’elle ne le prendra pas mal. Il sait à quel point elle est pudique.

« Merci, tu es vraiment incroyable, Melody… »

Austin le pense vraiment. Au cours de sa vie, il a rencontré de nombreuses personnes se disant être de fervents chrétiens. Ils allaient à la messe tous les dimanches et pourtant, ils avaient bien du mal à se ternir aux principes bibliques. Mais les Underwood ne font pas partie de cette catégorie. Ils croient fermement en Dieu et à ce que la Bible leur dicte. Ils suivent chacun des principes. Ils ne se contentent pas de remplir les bancs de l’église. Pour preuve : Melody n’avait pas hésité à réconforter son bourreau, oubliant presque toutes les fois où il s’était moqué d’elle, l’avait embêté ou insulté. Austin avait beau se moquer de sa foi, rien ne la détournait des Voies du Seigneur. Alors pour lui montrer sa bonne foi, le jeune homme se relève doucement, toujours en la gardant contre lui. Puis, quand ils sont assis, il la lâche à contrecoeur. D’un seul coup, il a froid… Bon, il est torse nu et la fenêtre est grande ouverte. Mais ce n’est pas seulement une question de température. Dans les bras de Melody, il se sentait si bien… Il se lève et se dirige vers sa penderie pour en sortir le premier t-shirt noir qu’il trouve. Il l’enfile puis se tourne vers Melody.

« Je ne sais pas si tu étais occupée mais j’aimerais y aller aujourd’hui. Pour régler ça une bonne fois pour toutes… Mais si tu ne peux pas, j’attendrais. »

En d’autres circonstances, Austin aurait profité de la situation pour peloter la jeune fille… Non, en fait, en d’autres circonstances, jamais Melody ne serait entrée dans sa chambre alors qu’il est torse nu. Elle ne serait pas restée car il lui aurait balancé une de ses remarques salaces dont il a le secret. Elle se serait enfuie en rougissant jusqu’à la racine de ses cheveux tandis qu’il aurait éclaté de rire. Alors non, cette situation n’aurait jamais pu exister. Mais Austin n’est pas dans son état normal, il est dévasté par la nouvelle. Le jeune homme a beau retenir ses larmes, il finit par craquer. Dans son malheur, Melody se révèle être celle qui le console et le réconforte comme elle peut. Lui qui passe son temps à la rendre folle, à se jouer de sa gêne et à rire de sa foi en Dieu. Quand ses larmes se tarissent, il trouve la force de s’ouvrir à elle. Melody n’en a sûrement pas conscience mais Austin ne fait jamais ça. Non, il refoule ses sentiments, il les enterre profondément dans un coin sombre de son esprit. Puis il affiche un air de défi ou de mépris, selon les circonstances. Il passe pour un jeune homme froid, bien trop cynique pour son âge. Mais il préfère avoir cette image plutôt que celle d’un pauvre petit garçon triste et perdu. Il refuse de se montrer faible. Pourtant, aujourd’hui, sa carapace s’est fendue. Il s’excuse auprès de la jolie rouquine qui n’ose pas briser le silence. Sans doute se dit-elle qu’il vaut mieux le laisser parler, de peur qu’il ne redevienne imbuvable. Cependant, Austin sent que quelque chose a changé en lui, ce moment n’arrive pas par hasard… Il sent qu’il lui fallait passer ce terrible moment pour grandir… il lui demande alors si elle serait d’accord pour l’accompagner sur la tombe de sa mère. Il a besoin d’y aller pour pouvoir tourner la page mais le faire seul… il en est incapable. C’est un soulagement quand Melody accepte de l’accompagner. Il aurait voulu lui sourire mais il a peur de lui faire une grimace. Il n’est pas encore prêt. Il se contente alors de la remercier.

« Merci, Melo… C’est sympa… »

Le pauvre rebelle au cœur meurtri fini par s’éloigner de la pieuse Melody. Il enfile le premier t-shirt qui lui passe sous le nez. Une fois que c’est fait, il dit à la jeune femme qu’il aimerait se rendre au cimetière le jour même. S’il tarde trop, il risquerait de se dégonfler. Pourquoi retarder l’inévitable ? Melody accepte et lui demande s’il sait où sa mère se trouve. Il hoche la tête et se dirige vers son bureau. Il y récupère les papiers qu’on lui a donné durant ses recherches. Après avoir parcouru les documents, il annonce :

« Elle est au cimetière de Green-Wood… »

Austin a encore du mal à réaliser qu’il va se rendre au cimetière, là où se trouve sa mère décédée. Sa main tremble légèrement. Il se demande s’il arrivera jusqu’au bout… Il lève les yeux de la feuille pour regarder Melody. Oui, si elle est avec lui, il peut le faire. Elle est la seule qui a réussi à lui arracher quelques paroles quand il pensait qu’il finirait muet pour le restant de ses jours. À ses côtés, il pourra traîner sa carcasse jusqu’au cimetière dire au revoir à cette mère qu’il n’a jamais connu. Mais surtout tirer un trait sur ce rêve de famille heureuse qui continuait de le hanter certaines nuits…

(…)

Austin se trouve devant l’allée où se trouve la tombe de sa mère. Voilà tout ce qu’il restait de Stacy Carson, une pierre tombale aussi anonyme que celles qui l’entouraient. Quand Austin avait entamé ses recherches, il avait appris que sa mère n’avait plus aucun contact avec sa famille. Elle était sûrement morte sans que personne ne s’en soucie. Il n’avait pas cherché à contacter les parents de sa mère, ses grands-parents. Il craignait d’apprendre qu’il était seul au monde. Avant, cette idée ne le dérangeait pas mais aujourd’hui…

Face à cette allée, il se sent perdu. Sur le chemin, il a pourtant pensé à ce qu’il ferait une fois sur place. Il était resté silencieux, se contentant d’observer le paysage défiler dans le bus qui les amenait jusqu’au point de chute. Melody avait respecté son silence. Mais étrangement, même s’il n’ouvrait pas la bouche, il observait du coin de l’œil la jeune femme. Même s’il a toujours pris un malin plaisir à se moquer de Melody, il ne pouvait nier qu’il la trouvait incroyablement belle. Il faudrait être aveugle pour ne pas le remarquer. Son innocence ne faisait que rajouter à sa beauté. Austin pouvait voir ce que Melody ne remarquait pas : les regards qu’elle attirait. Sa sublime chevelure de feu capturait les regards sur son passage. Et le jeune homme, bien que calme, était aux aguets. Si l’un des voyageurs du bus tentait de s’approcher de Melody, il finirait encore en garde à vue. Il n’hésiterait pas une seule seconde… Mais le voyage s’était fait sans encombre. Et à présent, il est pétrifié face à l’allée, tout ça est bien réel… il se sermonne mentalement. Il n’a pas entraîné Melody jusqu’ici pour rester planté là. Il inspire alors profondément et s’avance le long des tombes. Son cœur cogne violemment contre sa poitrine. Il lève sa main pour se frotter le torse. Puis, il s’arrête enfin. Stacy Carson, sa mère se trouve six pieds sous terre. Il n’y a qu’une date de naissance, ainsi que celle de sa mort. Rien d’autre. Pas de petite phrase rappelant qu’elle était une personne formidable ou qu’elle manquera à ses proches. Il n’y a pas non plus de fleur, signe qu’il doit être le seul à être venu se recueillir. Une larme coule le long de sa joue. Il ne sait pas ce qu’il doit faire. Qu’est-ce qu’un enfant est sensé faire face à la tombe de sa mère qui l’a abandonné avant même qu’il ne soit en âge de comprendre ? Il sent la présence de Melody tout près de lui. Sans réfléchir, il lui prend la main. Il a besoin de ce contact, la petite main douce de la délicate Melody est son ancre, sa bouée. Elle lui permet de rester dans le moment présent. Ainsi, il n’est pas tenté de se laisser entraîner au pays des « Et si ? ». Il mesure aussi la chance qu’il a d’avoir été recueilli par les Underwood. Ils lui ont offert un foyer, un endroit sûr où il pourrait se sentir bien… s’il se laisse enfin aller… Soudain, il dit d’une petite voix :

« Quand j’étais petit, j’imaginais que ma mère viendrait me chercher. Elle me sortirait de l’orphelinat. Parfois, je pensais même qu’elle viendrait avec mon père et qu’ensemble, on formerait une jolie famille heureuse… Mais plus le temps passait et plus j’ai compris que ça n’arriverait jamais. Mais, je ne pensais pas que je me retrouverais devant sa tombe… Je pensais plutôt que je pourrais lui demander pourquoi elle m’a abandonné…, il fait une pause pour refouler ses larmes avant de poursuivre. Je sais pourquoi elle m’abandonné. Ma mère se droguait et pour se payer ses doses, elle faisait le trottoir. J’étais une gêne pour elle… »

Sa voix se brise... Imaginer sa mère se débarrassant de lui comme on sort des poubelles particulièrement odorantes lui arrache le coeur. Il n'était qu'un bébé qui n'avait pas demandé à venir au monde. Mais il a le sentiment que sa mère le voyait comme un obstacle entre elle et son prochain trip. Si elle l'avait gardé, elle aurait été obligée de faire un choix : son fils ou la drogue. Alors, elle avait choisi avant qu'il ne soit trop tard. En voyant son véritable nom de famille, Austin comprend que sa mère ne voulait pas qu'il la retrouve. Sinon, pourquoi mentir sur son nom de famille ?